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trop d’incrédules. Voici comment s’exprime l’exposé des motifs au sujet de la nécessité d’un sénat :


« Si l’existence de la première de ces deux assemblées pouvait encore être remise en question, il serait facile de rappeler quels graves motifs en démontrent la nécessité. Dans tout état libre, surtout dans toute république, dans toute démocratie, le grand danger est l’entraînement et, à la suite de l’entraînement, la précipitation. On s’y décide souvent par passion plus que par conseil. Aussi l’art de tous les fondateurs d’un régime populaire a-t-il été d’y introduire la maturité dans les délibérations, d’opposer au mouvement de l’opinion publique le contrôle permanent de l’expérience, et l’on trouverait difficilement dans l’histoire, même en remontant jusqu’à l’antiquité, une constitution qui n’ait point placé à côté ou au-dessus de l’opinion populaire quelque corps destiné à la diriger ou du moins à la tempérer et à ralentir son action. Partout on a senti le danger d’un pouvoir unique et sans contre-poids. Quelles que soient sa forme et son origine, il dégénère en despotisme.

« Tous les pays libres de l’Europe ont deux chambres. La convention nationale, éclairée par une terrible expérience, introduisit la première en France cette double nécessité, et, tandis que la sagesse britannique couvre le monde de colonies admirablement libres, où cette double garantie est soigneusement consacrée, chacune des trente-six républiques de l’Amérique du Nord présente cette même division de la législature qui, au sommet de l’édifice fédéral, se reproduit par cette institution admirée de tous les publicistes, le sénat des États-Unis. »


Non-seulement le gouvernement de M. Thiers ne songeait pas à établir entre les deux chambres, dont il proposait la création, cette inégalité de pouvoir qu’on prétend être l’essence du régime parlementaire, et qui en serait la destruction, mais il faisait ressortir les précautions qu’il avait prises pour assurer aux deux chambres une égale autorité :


« Nous voulons assurer au sénat un rang et une puissance qui ne permettent pas de voir en lui l’inférieur de l’autre chambre : ainsi nous nous sommes décidés à lui assigner la même origine. Le sénat sera élu directement par le suffrage universel. C’est ailleurs que dans la base électorale que nous avons cherché les différences qui marquent le rôle spécial auquel il est appelé. »


Après avoir indiqué les catégories d’éligibles parmi lesquels les sénateurs devront être choisis à raison de trois par département, et fait ressortir l’autorité considérable et le caractère de permanence que le sénat empruntera à son origine, l’exposé des motifs de M. Dufaure arrive enfin à définir les attributions de cette assemblée,