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ports et séparés du monde entier, sont dans une position d’infériorité sérieuse vis-à-vis des constructeurs anglais par exemple, qui voient toutes les marines du monde passer sous leurs yeux. Déchargés de leurs fonctions administratives, ils seraient en nombre suffisant pour que chaque port pût envoyer tous les ans un de ses ingénieurs en tournée dans les arsenaux, chantiers et ports étrangers, et en rapporter une moisson de renseignemens ; ce serait un grand progrès. Mais s’il y a des progrès à réaliser dans l’organisation du génie maritime, l’institution est bonne. Elle a rendu et rendra encore de grands services.

Après les vaisseaux à construire viennent les armes et surtout les canons, affûts, projectiles. La tâche de les fabriquer, est en tout pays confiée aux officiers d’artillerie. En Angleterre, où on pense que des canons sont toujours des canons, qu’ils soient servis par des matelots ou par des soldats, le matériel de l’armée et celui de la flotte sont fabriqués par raison d’économie, et au grand bénéfice de la puissance de création, dans le même établissement, à Woolwich. En France, où l’on ne recule jamais devant la multiplication des rouages, des administrations et des places, les deux matériels se fabriquent dans des établissemens différens. L’armée a les siens, la marine a les siens. Ils sont tous dirigés par la même espèce d’hommes, des officiers d’artillerie devenus, par l’étude et certaines facultés propres, des fabricans et d’habiles fabricans. Les uns s’appellent officiers d’artillerie tout court, les autres officiers d’artillerie de marine, bien qu’ils n’embarquent pas plus sur les vaisseaux que leurs confrères de l’armée de terre. Rendons aux officiers d’artillerie de marine l’éclatante justice de déclarer que leurs produits ne laissent rien à désirer comme fabrication. Si ces produits sont un peu arriérés, si là encore nous nous laissons devancer par les étrangers, si notre travail est lent, la faute n’en est pas imputable à nos officiers. Elle n’est pas imputable non plus à l’administration générale de la marine. Il n’y a pas d’administration plus éclairée, plus dévouée, et nous ajouterons plus pure; jamais il n’a été rien articulé contre elle, et ses chefs sont des hommes éminens par leurs connaissances et leur expérience.

On le voit, dans notre opinion profondément arrêtée, la France possède, comme nous le disions plus haut, tous les élémens d’une marine puissante. Cependant, il faut bien l’avouer, et il vaut mieux le savoir, car, en fait de force nationale, rien n’est plus fatal que les illusions, notre marine n’est pas ce qu’elle devrait être. Le personnel souffre, le matériel est arriéré et insuffisant. Toute notre organisation navale a subi et subit un temps d’arrêt regrettable surtout à une époque de progrès et de transition comme la nôtre, où, l’invention et les découvertes procédant par bonds prodigieux,