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en même temps que les images et les onomatopées fréquentes d’une langue se prêtant avec une merveilleuse facilité, comme en général toutes celles d’Amérique, à la composition des mots pour rendre une image complète par l’accumulation des radicaux.

L’indolence, la douceur de caractère, la docilité étaient, à l’époque de la découverte, comme elles le sont encore aujourd’hui, des signes distinctifs de la race guaranie; tout autre était l’Araucan, habitant des forêts sombres et des plaines inter-andines. Race robuste, opiniâtre, brave et indomptable, celle-ci a réfléchi dans sa langue son propre caractère; aussi cette langue est-elle sévère dans sa forme, rude, laconique et sonore, tout en étant harmonieuse, riche en adjectifs, en interjections et en modulations du verbe. D’une construction consistante, elle a pu résister aux modifications qui atteignent forcément les langues que l’écriture n’a pas fixées : elle était parlée sur le revers occidental du Chili, entre l’Océan-Pacifique, les Andes et le désert d’Atacama, du 24eau 45e degré de latitude. La domination des Incas elle-même, dont le premier soin était d’imposer la langue quichua aux vaincus, bien qu’elle ait existé au XVIe siècle sous l’Inca Yupanqui, n’a pas laissé de traces dans la langue araucane. Les quelques mots quichuas qu’aujourd’hui l’on y rencontre y ont été introduits depuis la conquête par les missionnaires, obligés de recourir à toutes les langues du continent pour désigner des objets et des usages nouveaux pour eux. On a essayé vainement d’établir une grammaire araucane sur le type des grammaires européennes; cette langue, essentiellement primitive, est construite d’après des lois qui lui sont spéciales.

Ce qui frappe d’abord, dans la langue araucane, c’est l’excellence de la structure grammaticale, un laconisme sévère, l’abondance des interjections, la richesse des flexions du verbe, le grand nombre des adjectifs primitifs et dérivés, une sonorité et une harmonie remarquables. D’Orbigny nous a révélé un à un tous les traits du génie du peuple qui la parle, et après lui un savant littérateur argentin, qui a fait un long séjour au Chili, M. Juan Maria Gutierrez, nous a détaillé tous les caractères originaux de leur poésie et de leur langue. Cette famille humaine, que les Espagnols rencontrèrent au milieu des montagnes et des forêts de l’Arauco, avait approprié son langage à la beauté sauvage et rude de la nature physique au milieu de laquelle ils vivaient. Ce langage est si parfait, comparativement à la culture générale du peuple auquel il servait, que certains historiens ont émis l’opinion que c’était là un legs d’un peuple plus avancé en civilisation; mais il est peu probable qu’une langue qui se parle du 24e au 45e degré, c’est-à-dire dans tout le territoire compris entre la mer, la Cordillère et le désert d’Atacama, et qui