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avec les précédentes, chacune dans son ravin, enveloppée et séparée des autres par des forêts impénétrables.

Tous ces peuples étaient, à l’époque de la conquête, plus ou moins civilisés, suivant que le sol où ils étaient établis était plus ou moins favorisé de la nature. Les mœurs douces des Quichuas étaient dues, en même temps qu’à la douceur de la température et à la fertilité de la région qu’ils habitaient, à la présence d’animaux faciles à domestiquer, tels que le chameau, le guanaco et l’alpaca, dont ils ont naturellement utilisé la chair et la laine, ce qui leur a donné l’habitude du bien-être; de pasteurs, ils sont d’autant plus facilement passés à la vie agricole que leur sol produisait naturellement le maïs et la pomme de terre. L’amour des travaux de la paix leur fit déposer le soin de leur défense dans les mains d’un chef absolu, et les conduisit à soutenir des armées permanentes La paix dont ils jouissaient à l’ombre de ces institutions leur inspirait le goût des chants, de la poésie, de l’art sous toutes les formes, pendant que la soumission que rencontrait sans résistance le monarque absolu lui permettait d’entreprendre de grands travaux d’architecture, des routes, des ponts suspendus faits de lianes tressées. Ce peuple perdit ainsi l’habitude de la guerre et jusqu’au souci de la défense du sol de la patrie, et arriva à n’avoir plus qu’une tête et à résumer sa volonté dans celle de l’Inca. Atahuallpa prisonnier, la nation était vaincue ; c’est à peine si les compagnons de Pizarre eurent à réprimer quelques insurrections partielles.

Les Guaranis durent leur développement à la configuration de leur pays : la vue des fleuves immenses sur le bord desquels ils étaient établis suffit à leur inspirer le goût des voyages et des migrations; remontant et descendant le Paraguay et le Paranà, passant d’une contrée à l’autre, ils étendirent leur domination sur de grands territoires ; la fertilité du sol les rendit dans beaucoup d’endroits agriculteurs, ils émigraient pour vivre plus facilement, c’était une expansion de la population plutôt qu’une conquête.

Il n’en était pas de même des peuples chasseurs ou pêcheurs du sud ; ceux-là avaient à s’étendre toujours pour subvenir à leurs besoins, aussi se rencontraient-ils fréquemment avec d’autres peuplades et vivaient de cette manière dans un état de guerre à peu près permanent.

La conquête n’a que peu modifié les mœurs de tous ces peuples et en rien leur caractère. Écrasé par les nouveaux habitans, l’Indien a été replongé dans la barbarie d’où il sortait au temps de l’arrivée des Européens plutôt qu’élevé à la civilisation ; il lui a fallu renoncer à ses croyances, à ses traditions, auxquelles, resté sans direction, il a substitué des superstitions le plus souvent grossières,