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celles-ci des travaux les plus rudes, et on leur laissait rarement la possibilité de se visiter ; il arrivait le plus souvent que le mari mourait aux mines, et la femme, épuisée par les travaux de la terre, mettait au monde des enfans mort-nés ou débiles. Las Casas affirme que 7,000 enfans d’Indiens moururent en trois mois à Cuba à l’époque où lui-même y résidait. Si les malheureux essayaient d’échapper par la fuite à ces cruels traitemens, les châtimens les plus horribles étaient imaginés pour les terrifier. Le même évêque cite des faits de la dernière barbarie qui se sont commis à peu près sous ses yeux : un chef de corps entre autres, pour punir une évasion de ce genre, fit attacher treize Indiens par le cou aux branches d’un arbre, et quand ces malheureux furent tous enlevés de terre, les soldats les frappèrent de leurs sabres et de leurs lances pour essayer la force de leurs bras et le fil de leurs épées, par manière de distraction.

Ces races dociles méritaient mieux, et de plus tous ces massacres étaient inutiles et manquèrent le but. Les Espagnols n’ont pu parvenir à exterminer la race indienne ni même l’empêcher de partager leurs droits, double résultat que les Américains des États-Unis ont atteint avec une merveilleuse facilité, les repoussant des territoires qu’ils occupaient avec toute l’apparence de la légalité, détruisant les hommes sans cesser de respecter en apparence les lois de l’humanité. Les Espagnols, eux, pillent le Nouveau-Monde, sans discernement et sans pitié, mais ils ne peuvent tout détruire, le reste des populations indiennes échappées aux massacres finit par se mêler aux vainqueurs ; ceux-ci contractent avec eux des alliances, ils adoptent réciproquement leurs usages, et ainsi se forment depuis trois siècles les races néo-américaines que l’émigration moderne européenne viendra modifier sans lui faire perdre son caractère originel.

Il semble que cette vérité ait fait son chemin, et que l’on ait reconnu enfin, dans la littérature néo-américaine, qu’en raison des alliances contractées, qui font des races actuelles la continuation des races antérieures à la conquête, cette étude présente un intérêt national. Disons cependant qu’il n’appartient pas aux écrivains indigènes d’avoir les premiers inauguré cette étude et qu’ils ont seulement suivi le chemin tracé par les savans explorateurs étrangers que nous avons nommés.

À l’époque où Cuvier publie son Règne animal, en 1829, les peuples américains sont trop peu connus pour qu’il se croie autorisé à les faire entrer dans une de ses trois grandes races. Alexandre de Humboldt, dans les ouvrages qu’il avait déjà publiés alors, les avait envisagés sous un point de vue philosophique ; ce fut D’Orbigny