Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 18.djvu/162

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plaine sans horizon, l’homme libre y souffre toutes les oppressions de la captivité. Un vent toujours froid dessèche et durcit l’épiderme, assombrit, attriste, arrête la parole sur les lèvres et donne l’habitude du silence; dans les temps secs, la poussière noire est assez dense et le vent qui la soulève assez continu pour que le ciel soit voilé et l’habitant plus isolé encore. Comment songer ici à se faire des lois, comment penser à une vie stable, où prendre même les élémens d’un bien-être? Là, la sauvagerie, la vie nomade est si bien une exigence du milieu, que l’habitant moderne de la pampa, quelque améliorée qu’elle soit par la culture, fait un chemin plus rapide vers une barbarie relative que l’Indien n’en fait vers la civilisation.

C’est cependant dans ce milieu, sur la rive de la Plata, que les Espagnols sont accueillis en 1585, lors du premier débarquement de Mendoza, par des Indiens que l’histoire aujourd’hui traite durement, mais dont les mœurs et le caractère nous sont présentés sous un jour plus vrai par ce compagnon de Mendoza que nous citions tout à l’heure. D’après lui, les Querandies reçurent amicalement les Espagnols et leur fournirent, sur leur demande, les vivres fort rares et peu choisis dont ils pouvaient disposer dans un pays où la terre ne produisait rien, où l’habitant était réduit à se nourrir du fade poisson des rivières ou de la chair crue de quelques bêtes fauves, souvent même, manquant d’eau, à sucer la racine du chardon ou à boire le sang des animaux tués à la chasse. Dans un milieu aussi désolé, il n’était pas facile de se procurer en abondance les alimens que pouvait exiger une armée de 2,000 hommes, habitués à un luxe plus grand et fatigués par les privations d’une longue traversée : cependant les Querandies les contentèrent pendant quatorze jours, mais alors les vivres manquèrent à l’heure dite, et ce fut suffisant pour que les Espagnols, abusant d’un armement bien supérieur à celui de leurs pourvoyeurs, devenus leurs ennemis, détruisissent leur campement.

Schmidel était du combat; il fut terrible, et grande fut la valeur de ce soldat allemand, si l’on en croit les longs récits qu’il en fait, renonçant pour un instant à son laconisme ordinaire : 1,000 Querandies furent tués, mais aussi le frère du chef de l’expédition, Diego de Mendoza. De ce jour, la violence seule régna de part et d’autre, et même les actes de cruauté, que n’avait pas empêchés la soumission des Quichuas et des Guaranis, vinrent punir la résistance armée des peuples rudes, mais hospitaliers, de la plaine.

Reconnaissons, en passant, qu’il serait injuste de faire remonter jusqu’au gouvernement et jusqu’aux législateurs espagnols la responsabilité des cruautés des chefs d’expéditions. Les rois d’Espagne