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qui objectent que les croisades des siècles antérieurs n’ont pas réussi, le père Justinien de Neuvy répond que les croisés des anciens temps étaient conduits par « des chefs aveugles et sans expérience, sortis des cloîtres et des solitudes, tels que Pierre l’Ermite et d’autres. » Aussi bien peut-on dire qu’elles n’ont pas réussi? Assurément non, car les chrétiens conquirent alors la Syrie, Jérusalem, Chypre, l’empire grec et une partie de l’Egypte.

Voudriez-vous engager le roi à porter la guerre en Turquie, pendant que les autres princes, jaloux de ses triomphes, songent à se liguer contre lui ? Ne fera-t-il pas mieux de « poursuivre sa pointe dans les vallées et le plat pays, avant de grimper sur les montagnes du Levant? » — Sans doute, répond le savant capucin, je prétends seulement vous montrer qu’il n’est rien de plus aisé que de subjuguer le Turc.

Peut-on espérer que jamais les monarques chrétiens parviennent à se mettre d’accord pour former une ligue ? — Ici Michel Febvre est visiblement embarrassé, et il se range, sans le savoir, à la tactique du seigneur des Alimes ; pour éviter les inconvéniens qui pourraient se produire au sujet de la préséance, il serait bon que chacun attaquât de son côté sans s’inquiéter des autres. Ne peut-on d’ailleurs jamais espérer que la paix s’établisse entre les princes chrétiens? Une suspension d’armes pour trois ans est-elle impossible? Les Français ne pourraient-ils pas venir seuls, assistés toutefois des forces d’Italie, de Pologne et de Perse? On laisserait en France assez de troupes pour garder nos frontières. Mais quoi! l’empereur et le roi d’Espagne se rendraient odieux à la chrétienté tout entière, s’ils profitaient de l’absence de Louis XIV pour envahir ses états. Et dût-on revenir en toute hâte, on aurait, devant Dieu et devant les hommes, l’honneur d’une si sainte entreprise, tandis que ceux qui l’auraient entravée seraient « l’opprobre et la risée des peuples. »

Plus loin, Michel Febvre s’efforçait vraisemblablement de répondre aux objections de Colbert. Que deviendraient les consuls et les marchands français établis actuellement dans les ports ottomans, si le roi déclarait la guerre au Grand-Seigneur; les abandonnerait-on à la rage des infidèles? — Le roi, réplique le capucin, n’aurait qu’à demander au sultan l’abaissement des droits de douane. Sur son refus, qui n’est pas douteux, il le prierait de permettre aux Français de se retirer. S’il y mettait obstacle, Louis menacerait de ruiner tous les ports de Turquie. Force serait de lui rendre ses sujets.

Supposé que la paix fût faite entre les rois chrétiens, qu’adviendrait-il? — Le roi de France, qui jouera sans doute le premier rôle