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Comme ils ont toujours négligé de fortifier leurs villes, il n’y aura pas de siège sérieux à conduire.

La Noue s’inspire du plan stratégique de Léon X, mais en le modifiant. Léon X aurait voulu que l’empereur, uni aux Hongrois et aux Polonais, s’acheminât par le Danube, la Serbie et la Thrace vers Constantinople; que le roi de France, rejoint par les Suisses, les Vénitiens et les autres princes de l’Italie, s’embarquât à Brindes et vînt s’établir en Albanie pour soulever les populations chrétiennes. Une troisième armée, exclusivement navale, composée d’Espagnols, de Portugais et d’Anglais, aurait appareillé dans le port de Carthagène et se serait sans tarder saisie des Dardanelles; le souverain pontife, parti d’Ancône avec une flotte moins considérable, l’aurait rejointe à Gallipoli. « Ainsi attaquée par terre et par mer, disait Léon X, la puissance ottomane succomberait avec l’assentiment de la divinité. » La Noue est bien partisan de l’attaque simultanée par terre et par mer, mais il ne veut que deux grandes armées, une armée continentale et une armée navale, avec un seul objectif, Constantinople. L’empereur aurait la haute main sur la cavalerie et l’infanterie, le roi d’Espagne sur la flotte. La nouvelle invincible armada serait commandée soit par le duc de Savoie, soit par Alexandre Farnèse, « le premier capitaine de la chrétienté. » Les Français auraient à leur tête le roi de Navarre, — notre Henri IV, — ou le duc de Lorraine, « dont les ancêtres ont été dompteurs de la nation turquesque. »

L’auteur du Discours contre les Turcs indique, année par année, ce que devraient accomplir la flotte et l’armée. Dans la première campagne, l’empereur, pénétrant au cœur de la Hongrie, enlèverait Gran, Bude et Pesth; le roi d’Espagne se saisirait de Coron, Modon et Lépante, et se fortifierait à Corinthe, « en l’encolure de la péninsule. » La deuxième campagne verrait les Franco-Allemands s’avancer jusqu’au confluent de la Drave et du Danube, et les Anglo-Espagnols s’établir fortement dans Négrepont et dans les Cyclades. Une troisième campagne livrerait à ceux-là Belgrade et la Serbie, à ceux-ci Salonique et le rivage méridional de la Thrace. A la quatrième campagne enfin seraient réservées les grandes actions de terre et de mer. L’armée viendrait livrer une grande bataille sous les murs de Philippopoli. 80,000 chrétiens, selon La Noue, y vaincraient 220,000 musulmans. « Ce seraient d’honorables sépulcres que ceux qui se bastiraient là. » La flotte forcerait les détroits, après avoir fait capituler Sestos et Abydos. Alors le grand-seigneur se sauverait en Asie « avec ses trésors et ses concubines. » Aussitôt après commencerait le siège de Constantinople, que les chrétiens assailliraient des deux côtés. La capitale de l’empire d’Orient serait