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la France. L’Eclair avait disparu depuis plus de quarante ans, quand la victoire de son petit-fils, à Varna, fit comprendre que les jours de Constantinople, la seconde Rome, étaient comptés. Charles VII, qui, à l’aide du grand-conseil, réorganisait si sagement son royaume, et qui n’avait encore chassé les Anglais ni de Rouen, ni de Bordeaux, n’avait garde de recommencer la croisade de Nicopolis. Il reprit précisément Bordeaux et Rouen, à la date où Mahomet II entrait à Constantinople. Néanmoins c’est une erreur de croire que la France fût restée insensible à cette catastrophe. Qu’on lise, dans les chroniqueurs du temps, le Vœu du Faisan. Le 9 février 1454, peu de mois après le triomphe des Turcs, le fils de Jean sans Peur, dans un banquet solennel, jura sur un faisan que lui présentait le roi d’armes Toison-d’or, d’aller guerroyer contre les infidèles. Tous les chevaliers du grand-duc d’Occident se vouèrent par un serment analogue « à Dieu premièrement, puis à la très glorieuse Vierge Marie, aux Dames, et au Faisan. » Heureusement Philippe le Bon lui-même reconnaissait qu’au roi seul il appartenait de donner le signal de la croisade. Or le roi était absent, et le discours tenu à Lille par « Dame Église, » qui lui fut à coup sûr redit, le toucha peu. Louis XI, son fils, prince très dévot, et auquel le pape avait envoyé une épée bénite qui devait percer les infidèles, n’aimait les pèlerinages qu’en France et ne voulait nulle part de pèlerinages armés; mais le petit-fils du Victorieux, le jeune Charles VIII, pensa ramener l’ère des croisades. Il se souvint, et la France avec lui, que Jérusalem et Constantinople, aussi bien que Naples, avaient été gouvernés par des princes français. A Rome, il se fit livrer Djem, frère et compétiteur du sultan, successivement hôte et prisonnier des chevaliers de Rhodes et du pape. Le rêve de Charles VIII ne fut pas de longue durée; Djem mourut entre ses bras, peut-être empoisonné. La ligue de Venise le ramena bien vite en France. Longtemps après sa mort, un de ses successeurs, François Ier, roi très chrétien comme lui, fut sur le point de se laisser tenter par le pape Léon X; c’était peu de temps après sa brillante victoire de Marignan[1]. Le sultan Selim le Féroce venait de frapper la Perse et l’Egypte; il s’était emparé des villes saintes. Devenu commandeur des croyans, il allait, en outre, régner sur les saints lieux, témoins de la mission, de la mort et de la résurrection du Christ. Léon X fit un appel pressant à tous les rois chrétiens; non-seulement il projeta une sainte ligue contre l’islamisme, mais il dressa un plan de campagne. François Ier devait être, dans la pensée du pape, le chef le plus glorieux de cette croisade. Si Selim eût vécu,

  1. Voyez le livre récent de M. Mignet, Rivalité de Charles-Quint et de François Ier.