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outre qu’il n’y avait pas en lui l’étoffe d’un philosophe, il semble que par caractère il eût en horreur toute idée nouvelle, toute hypothèse hasardée. Il s’est tenu toute sa vie à l’écart de la politique ; néanmoins il ne cachait pas qu’il fût tory, avec les préjugés et les défiances du tory le plus conservateur. Aussi comme il sympathisait avec Humboldt et avec de Buch, qui s’en tenaient comme lui aux idées anciennes et à la vieille doctrine des soulèvemens ! Une année, — c’était en 1848, — il traverse la Suisse en revenant de Rome; comme dans tous ses voyages, il recherche la société des savans adonnés aux mêmes études que lui. Il va donc faire visite à Charpentier, qui lui montre sur place les blocs erratiques transportés par les glaciers de l’ancien temps. Cela ne le convainc pas. En passant par Aoste, il rencontre le chanoine Carrel, qui, lui aussi, lui fait voir partout des roches striées et des moraines. « Mais alors, dit Murchison, croyant avoir saisi une objection triomphante, mais alors l’Europe entière a donc été couverte par vos glaciers ? — Eh ! pourquoi pas? » lui répond le chanoine. C’en était trop pour le satisfaire, quoiqu’il ait assez vécu pour voir cette opinion universellement admise. Cependant, lorsque de Buch veut lui faire croire que les blocs erratiques du Jura ont été lancés comme des boulets par-dessus les vallées de la Suisse, grâce à la force d’expansion formidable des volcans primitifs, c’en est encore trop pour lui. Il préfère rester dans le doute, s’abstenir de toute explication, plutôt que de se plier à des théories qui lui paraissent étranges. Il est de ceux qui étudient la nature et l’admirent, sans avoir la prétention d’en pénétrer les secrets.


IV.

L’œuvre scientifique de Murchison a donc été surtout descriptive. C’est dire qu’avec l’âge, la vigueur corporelle diminuant, il devait s’effacer devant des collègues plus actifs que lui ou guidés par un esprit métaphysique qui lui faisait défaut. Mais sa situation sociale le faisait en quelque sorte le représentant des sociétés savantes de son pays. Fortune, relations, caractère, tout contribuait à le maintenir en évidence. La reine Victoria l’avait nommé baronnet; l’Institut de France lui conférait le titre de correspondant d’abord, puis un peu plus tard celui d’associé étranger. Sa maison de Belgrave-Square était le rendez-vous de toutes les sommités politiques, scientifiques ou littéraires. Puis le hasard le servait bien en quelques circonstances. Ne se fit-il pas à certain moment la réputation d’avoir découvert les champs d’or de l’Australie, où il n’avait jamais mis les