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de strates superposées qui ont été chacune ravinées par les eaux, parfois à des profondeurs de plusieurs centaines de mètres. A dix millions d’années par couche seulement, le calcul donne encore des millions de siècles. De plus hardis même ne craignaient pas de réclamer un espace aussi long que cela pour la formation d’une seule et unique couche sédimentaire.

Ces évaluations plaisaient fort aux partisans de la théorie de Darwin, car, si les espèces se transforment les unes dans les autres, ce ne peut être que par l’intermédiaire d’un nombre infini de générations; mais alors intervinrent les physiciens, les astronomes, tant il est vrai que toutes les sciences sont solidaires. Un savant qui fait autorité en Angleterre, sir William Thomson, vint déclarer que cette nouvelle doctrine géologique, devenue presque populaire, était en opposition directe avec les principes de la physique. La vitesse de rotation de la terre sur son axe diminue sans cesse, comme on sait; il y a cent millions d’années, cette vitesse était si grande qu’aucun être vivant ne pouvait adhérer au sol. Le soleil ne brille pas depuis si longtemps que les géologues le demandent; autrement il serait déjà éteint. La terre elle-même m’a pas mis des raillions de siècles pour se refroidir au point où elle en est. Ces argumens manquent peut-être de précision; mais les uniformistes tombaient en discrédit pour d’autres causes. C’était au fond une prétention singulière de prendre l’expérience de quelques siècles d’histoire contemporaine pour mesure de ce qui se serait passé dans les âges les plus reculés. D’ailleurs les idées transformistes s’étendaient. Les géologues se dirent qu’ils en pouvaient profiter aussi bien que les naturalistes. N’est-il pas légitime d’admettre que les lois géologiques ont varié d’intensité aux diverses époques de la vie du globe? n’est-il pas admissible que les phénomènes de surface aussi bien que les mouvemens intérieurs aient été plus intenses lorsque la croûte solide était moins épaisse!? Une nouvelle école s’est donc formée, celle des évolutionnistes, à laquelle appartiennent MM. Huxley, Tyndall et la plupart des géologues anglais contemporains. Sera-t-elle plus prudente que les autres? Abandonnera-t-elle ces recherches sur l’âge de notre planète, recherches bien vaines en l’état actuel de nos connaissances? Il semblerait qu’elle y est disposée; car ces jours-ci, à l’ouverture des séances de l’Association britannique à Glasgow, le professeur J. Young, président de la section de géologie, déclarait que personne n’est encore en situation d’évaluer de façon approximative le temps employé pour le dépôt ou pour la dénudation d’une couche de terrain. Le plus sage est en effet de ne pas appliquer nos mesures du temps actuelles à des phénomènes de date si reculée.

Murchison n’était pas homme à prendre sa part dans de telles discussions ;