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lui fallait du mouvement ; la vie de campagne ne lui déplaisait pas. Sa femme était charitable, elle avait du goût pour une existence paisible. Il n’était pas interdit aux ministres anglicans de se livrer avec modération à la chasse et à la pêche, deux exercices qu’il aimait à la fureur. Toutefois l’instruction sérieuse que l’on exige des clergymen ne lui ferait-elle pas défaut ? Il s’informe auprès de ses amis : à Cambridge, lui dit-on, l’examen n’est pas sérieux ; à Oxford, c’est différent, il y rencontrerait de graves difficultés. Mais, puisqu’il a de belles relations en Irlande, que n’y va-t-il chercher un évêque qui l’accueillerait volontiers ? Surtout, qu’il ne tarde pas trop, car la paix sera cause que beaucoup d’officiers voudront entrer dans l’église. Là-dessus, il s’approvisionne de dictionnaires et d’autres gros volumes pour commencer ses études ecclésiastiques. En même temps, il se prépare pour un voyage sur le continent. Une fois parti, il allait oublier bien vite ce singulier projet.

Quoiqu’il eût peu d’instruction à cette époque, Murchison était sans contredit bien doué. À peine a-t-il franchi les Alpes qu’il se passionne pour les œuvres d’art ; il n’y a pas de galerie ou d’église qu’il ne visite à diverses reprises ; c’est une occasion pour lui de refaire son éducation classique ; au milieu des antiquités romaines, il relit avec fruit les auteurs anciens qu’il devait assurément avoir oubliés depuis dix ans qu’il avait quitté les bancs de l’école. C’est dans les musées d’Italie qu’il goûte pour la première fois les plaisirs d’un travail intellectuel ; il s’y livre avec la fougue qu’il avait montrée précédemment pour de moins nobles occupations.

Cependant la conversion du jeune dandy n’était point complète ; du moins elle n’était pas définitive. Deux ans de séjour en Italie ne lui inspirèrent qu’une résolution sérieuse : vendre au plus vite le manoir de Tarradale, où il était né, où son père avait vécu longtemps, mais dont le revenu était précaire et la valeur intrinsèque considérable. Il en avait souvent manifesté l’intention, même avant d’être majeur, au grand déplaisir de son tuteur, qui lui répondait : « Quand on signe Murchison de Tarradale, on peut être quelque chose dans son pays ; en s’appelant Murchison, rentier, on n’est rien. » Au fond, les terres de ce domaine n’étaient pas mauvaises ; elles étaient mal cultivées par de petits fermiers qui ne payaient pas ou qui payaient rarement. En réalité, le peu d’argent que le propriétaire en obtenait provenait, non de la vente des productions du sol, mais de la distillation frauduleuse du whiskey. L’origine de ce commerce interlope était assez singulière. La famille Forbes de Culloden, établie sur le domaine de Ferrintosh, voisin de Tarradale, avait reçu la licence de fabriquer et de vendre le whiskey en franchise, en considération des services qu’elle avait rendus et des