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et toute résolution extrême, comme de renoncer à Kirsanof, une erreur de jugement. Le conseil est pour plaire ; Véra n’hésite pas davantage, elle épouse Kirsanof. Elle recommence encore une fois la vie, et tandis que Kirsanof, médecin-professeur, presque célèbre déjà, continue de soigner les malades et d’accroître sa réputation naissante, elle fonde un atelier, deux ateliers, trois ateliers de couture, et tient boutique sur la perspective Nevsky, à l’enseigne du Bon-Travail, magasin de nouveautés. Quand elle a des loisirs, elle rejoint Kirsanof à l’hôpital, et, sous la direction conjugale, étudie passionnément la médecine.

Mais voici bien une autre affaire. Lopoukhof n’est pas mort : on a retrouvé dans la rivière une casquette percée d’une balle ; ce n’était qu’un ingénieux artifice, un moyen délicat de tourner la loi russe, qui ne permet le divorce que dans des cas bien rares, à prix d’or, et que le ménage Lopoukhof aurait vainement suppliée de briser les liens qui l’unissaient. Lopoukhof a quitté la Russie ; d’Allemagne en Amérique, d’Amérique en Angleterre, il a parcouru le monde ; puis, quelques années écoulées, il revient à Saint-Pétersbourg, sous le nom de Charles Beaumont, pour y traiter, comme représentant d’une maison anglaise, de l’achat d’une fabrique. C’est encore un type curieux de traitant russe que le directeur de cette fabrique. Sous-capitaine de cavalerie démissionnaire, Polosof a si bien trafiqué de quelques roubles qui lui restaient, qu’il est devenu trois ou quatre fois millionnaire. Gonflé de son importance, devenu fournisseur attitré du gouvernement, il a commis la maladresse de ne pas plier à temps devant un homme en place. Depuis, ses « fournitures de vivres et de cuirs de bottes » ont été systématiquement mises au rebut, tantôt sous un prétexte et tantôt sous un autre, aujourd’hui parce qu’on a trouvé dans sa fourniture « quelques négligences, » demain parce qu’on y constate de « mauvaises intentions. » Les jours pénibles sont venus, et des débris de sa splendeur il n’a conservé qu’une fabrique de stéarine, dont il est le directeur et le principal intéressé. Comme l’affaire soulève des difficultés nombreuses et délicates, Lopoukhof ou Charles Beaumont, obligé d’entrer en relations quotidiennes, intimes bientôt, avec son vendeur, fait chez lui la connaissance de Mme Polosof. On devine la conclusion et que Lopoukhof épouse Mme Polosof.

Il y a un épilogue : puisqu’il est maintenant remarié, Lopoukhof n’a plus de motifs de ne pas renouer les relations d’autrefois avec son ami Kirsanof. Il confie son désir à sa nouvelle épouse, et c’est elle qui se charge d’aller annoncer à Véra la grande nouvelle : « Lopoukhof est ressuscité. » Le ménage Kirsanof ne se sent pas de joie, tout est bien qui finit bien, les deux ménages feront désormais vie commune, ils habiteront le même appartement, il y aura comme toujours des « chambres neutres » et des « chambres non neutres. » Que faire ? disait le titre du roman ; voilà, nous apprend le traducteur, la solution qu’a trouvée la