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nation musulmane par une expropriation sommaire, ce serait bien commode ; mais on ne peut pas s’entendre de façon à satisfaire à la fois la Russie, l’Angleterre, l’Autriche, l’Allemagne, la France, l’Italie. On ne peut s’entendre ni sur Constantinople, ni sur bien d’autres points, et voilà pourquoi mieux vaudrait réunir tous les efforts dans la seule alliance possible, poursuivre les seuls progrès réalisables, au lieu de mêler toutes les politiques et de paraître travailler à préserver la paix universelle avec des procédés ou des arrière-pensées qui peuvent conduire à la guerre. Toutes les fois qu’elle se réveille, cette éternelle et terrible question d’Orient, c’est la même situation, la même résistance de la force des choses, le même conflit d’intérêts ; c’est aussi presque le même jeu diplomatique, et ce qui arrive aujourd’hui a certainement plus d’une ressemblance avec cette crise de l’insurrection hellénique qui, pendant dix années, aux beaux jours de la restauration, occupa l’Europe, dont M. le vice-amiral Jurien de La Gravière évêque le souvenir avec une sorte d’émotion dans ses attachans récits d’une Station du Levant[1]. Le vaillant amiral, on le sent bien, a un plaisir patriotique à retracer ces scènes d’autrefois où la marine française, relevée rapidement, trouvait l’occasion de se faire une si bonne renommée à côté de l’escadre anglaise de Codrington. Il se plaît à raconter cette campagne si bien menée, jusqu’au bout par l’amiral de Rigny, l’avènement d’une élite nouvelle de notre marine, l’héroïque dévoûment du jeune Bisson se faisant sauter avec son navire pour n’être pas pris, cette généreuse expédition de Morée conduite par le général Maison.

Tout cela, c’est le passé avec le reflet lointain d’un temps plus heureux. Politiquement c’est, sous plus d’un rapport, comme une ébauche des événemens contemporains. Alors comme aujourd’hui la question d’Orient renaissait dans la flamme des incendies, dans les scènes sanglantes de la guerre et dans les massacres qui désolaient la Grèce. Pendant des années, l’Europe émue par degrés, mais toujours divisée, s’essayait vainement à une médiation entre les Turcs et les Hellènes insurgés. À cette époque comme maintenant, il s’agissait de savoir sous quelle forme s’organiserait cette médiation, dans quelle mesure on interviendrait, comment on ferait d’abord prévaloir un armistice que Grecs et Turcs violaient audacieusement en paraissant l’accepter. Ce que les uns proposaient les autres le repoussaient. L’Autriche déployait la plus habile et la plus souple opiniâtreté pour déjouer toute tentative d’intervention, pour rallier l’Angleterre à sa politique et surtout pour neutraliser la prépotence russe. Ce n’est qu’après six ans que la Russie, la France et l’Angleterre finissaient par signer à Londres, au mois de juillet 1827, un traité partiel de médiation auquel l’Autriche refusait de

  1. Voyez la Revue à partir du 15 décembre 1872.