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croit à sa sainteté et prétend descendre du sang de Mahomet et de Mourça-Ali. Son pouvoir n’est cependant pas si bien affermi qu’il ne se croie obligé de retenir en prison l’aîné de ses fils, dont sa pusillanimité redoute l’activité et le courage. Tels sont les détails qu’apporte à Moscou Jenkinson. Par quel émissaire russe Ivan IV eût-il pu être aussi bien renseigné ? Quel boïar, quel kniaz eût aussi chaleureusement pris ses intérêts ? Si les Moscovites ont attendu trois cents ans pour étendre leur empire jusqu’à Tiflis, Erivan et Boghar, ce n’est pas assurément la faute de Jenkinson ; les Russes ne peuvent s’en prendre qu’aux troubles qui suivirent le règne d’Ivan IV. « Je reconnais vos bons services, a dit l’empereur à ce fidèle Anglais. Je vous en remercie et je vous en récompenserai. Préparez-vous à entreprendre bientôt de nouveaux voyages et à vous occuper encore de mes affaires. »

Jenkinson passa tout l’hiver à Moscou, mais ce ne fut pas en Perse que le renvoya Ivan IV. Le tsar jugea plus utile de donner à la reine d’Angleterre l’occasion d’entendre d’une bouche dévouée et convaincue ce que valait réellement l’amitié à laquelle, en 1561, elle semblait vouloir attacher tant de prix. Ivan ne se laissait pas éblouir par une prospérité jusque-là sans exemple ; il sentait instinctivement s’amasser autour de lui l’orage. Pour étayer son œuvre chancelante et encore mal assise, il devait naturellement chercher de tous côtés des appuis. Jenkinson part enfin de Moscou le 28 juin 1564 ; le 9 juillet, il s’embarque sur le Swallow. La traversée fut rude et périlleuse. Échappé aux dangers de la mer Caspienne, Jenkinson faillit, sur l’Océan du nord, perdre « son navire, ses marchandises et la vie. » Le 28 septembre, il arrivait à Londres.

Pendant qu’il s’y occupe des affaires d’Ivan IV, qui s’occupera dans les états du tsar des affaires de la compagnie ? La compagnie n’a jamais manqué de serviteurs intrépides. Thomas Alcock, George Vrenne, Richard Cheinie se sont, au premier appel d’Henry Lane, embarqués sur la Moscova. Jenkinson leur a suffisamment indiqué le chemin ; ils suivront ses traces et iront à leur tour cultiver les germes ingrats déposés sur la terre persane. Thomas Alcock n’est pas d’ailleurs un nouveau venu en Russie. Son nom nous apparaît, dès l’année 1558, au milieu des feuillets poudreux de la chronique d’Hakluyt. Thomas n’affronte pas alors la perfidie musulmane ; c’est au courroux du roi de Pologne qu’il s’expose. Il a loué à Smolensk un Tartare qui a promis de le conduire par la Pologne à Dantzick. En route, on l’arrête et on lui met, pour le garder plus sûrement, les fers aux pieds. Après une longue détention, il comparaît, le jour de la Saint-George, « devant le maréchal. » Sigismond-Auguste tient à montrer son insigne bonté et sa