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qui occupait Ormuz et avait ravi aux Persans le commerce des perles. Jenkinson se disait Anglais ; l’Angleterre était probablement une province vassale du Portugal. Sur le terrain de la cosmographie le roi des chiites n’en eût guère remontré au Fils du Ciel. Comment espérer qu’au sein de ses montagnes il eût appris ce que Soliman, établi sur les bords du Bosphore, ne connaissait peut-être encore que d’une façon assez vague ? Le premier soupçon qui vint à l’esprit de Shah-Tamasp, c’est que Jenkinson, sous son titre d’envoyé, cachait un espion, et que cet espion venait étudier les chemins par lesquels on pouvait arriver de la mer des Indes au cœur de la Perse. Shah-Tamasp se promit d’éclaircir les doutes qu’il avait conçus à ce sujet. Par ses ordres, l’envoyé de sa majesté britannique se vit entouré d’une foule de gentilshommes qui ne négligèrent rien pour effacer la fâcheuse impression qu’avait du produire sur Jenkinson la scène du 20 novembre. On lui conseillait de ne pas perdre courage, on lui promettait qu’il serait toujours bien traité ; le fils du roi d’Hircanie entre autres ne cessait d’affirmer à ce chrétien, dont il s’était fait le protecteur, qu’avec de la persévérance, en ayant soin de saisir pour renouveler sa requête une occasion favorable, il verrait changer complètement les dispositions du sophi. Par quelle voie comptait-il, une fois le privilège qu’il réclamait obtenu, s’en retourner dans son pays ? Reprendrait-il le chemin qui l’avait amené ou préférerait-il la voie d’Ormuz et des vaisseaux portugais ? Jenkinson flaira quelque piège. « Les Portugais, dit-il, ne sont pas nos amis. Tant qu’ils seront à Ormuz, je ne me soucie pas d’y aller. » Informé sur-le-champ de cette réponse, le sophi voit déjà Jenkinson sous un meilleur jour. Il juge cependant nécessaire, avant de prendre un parti, de se consulter avec sa noblesse.

Peut-on réellement entrer dans les vues de ce Franc ? Il semble, en somme, avoir entrepris le voyage de Perse à bonne intention. Ne faudrait-il pas, tout au moins, le renvoyer avec des lettres et avec des présens ? La plupart des membres du conseil ne furent pas de cet avis. La nouvelle de ce bon traitement serait, suivant eux, bientôt portée à la connaissance du Turc ; le Turc assurément en prendrait ombrage et l’alliance récemment conclue pourrait s’en ressentir. Le sophi n’avait aucun intérêt à se lier d’amitié avec des mécréans dont les pays étaient si éloignés de la Perse. Il valait beaucoup mieux expédier le giaour avec ses lettres de créance au Grand-Turc. Le sophi, du coup, est fort ébranlé. Il n’attendait, dit-on à Jenkinson, que le départ d’une ambassade, dont l’envoi prochain était résolu, pour faire prendre sous bonne garde la route de Constantinople au giaour qui avait, par son imprudence, failli jeter un nuage sur les rapports du shah et du sultan. Prévenu par son fils de ce qui se tramait à Casbin, le roi d’Hircanie ne laissa