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barque faisait beaucoup d’eau ; nous avions beau pomper continuellement, c’était à grand’peine que nous la maintenions à flot. Nous avions cependant jeté à la mer une bonne partie de nos marchandises. Notre chaloupe restée à la traîne cassa son amarre et fut emportée à la dérive. Si nous ne coulions pas sur place, mous devions nous aller perdre infailliblement sur la côte. Là nous serions tombés entre les mains de méchans infidèles qui attendaient, impatiens, notre naufrage. La tempête dura sept jours ; ce furent sept jours de souffrances et d’angoisses. » La mer Caspienne n’est pas, comme on serait tenté de le croire, un lac toujours paisible, un réservoir intérieur d’où les ouragans se garderaient bien d’approcher. C’est au contraire une mer tempétueuse à l’excès, un océan qui compte 1,200 kilomètres du nord au sud, 300 de l’est à l’ouest, et dont la navigation était, au XVIe siècle, d’autant plus périlleuse qu’on l’affrontait avec des esquifs qui auraient dû à peine oser se hasarder sur des fleuves.

Enfin le 30 juillet le vent se calma en passant à l’ouest, et le temps s’embellit. Jenkinson leva l’ancre, déploya sa voile et fit route au sud. Le lendemain, il gouverna sur la terre. Il s’estimait alors à 150 milles de Chatalet, à 300 environ d’Astrakan. Le vent vint encore une fois l’arrêter dans sa marche ; ce même vent le retint au mouillage jusqu’au 3 août. Le 4, un souffle de brise que le caprice du sort maintint jusqu’au soir favorable, suffit pour le conduire successivement de la côte de Shyrvanasha au promontoire sur lequel s’élève aujourd’hui le poste fortifié de Petrowski, de ce cap aux premières terres du roi des Hircaniens et finalement à la ville de Derbent.

Jenkinson n’est pas seulement un marin, un marchand, un ambassadeur, un hydrographe. Nous avons de plus affaire à un lettré. Anthony ne se bornera pas à observer la latitude de Derbent, — latitude que par parenthèse il fixe à 41 degrés, tandis que la carte russe place cette ville sous le parallèle de 42° 5′, — il vous fera part de tout ce que lui ont appris, au sujet de la cité antique, les auteurs de l’antiquité. À l’exemple de Sébastien Cabot et des autres pilotes de quelque illustration, il paraît s’être complu dans la société peu fréquentée encore des Grecs et des Romains. « Derbent, nous dit-il, est une ancienne ville groupée, sur une colline, autour d’un vieux château. Bâtie de pierres de taille, à la façon de nos édifices, elle a des remparts très élevés et très épais, elle fut fondée par Alexandre le Grand au temps où ce roi combattait les Perses et les Mèdes. Alexandre fit en même temps construire une muraille d’une hauteur et d’une épaisseur merveilleuses. Cette muraille s’étendait de Derbent jusqu’en Géorgie, c’est-à-dire jusqu’à la principale ville des Géorgiens, qui se nomme Tiflis. La muraille est