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trop inégale. Gustave Vasa avait, en mourant, légué à son fils une armée régulière composée de 13,000 hommes de pied, de 1,400 cavaliers, et d’une garde allemande de 800 hommes. Ces troupes, pour la solidité, auraient difficilement trouvé des rivales en Europe.

Le bois et le fer ne faisaient pas défaut à la Suède affranchie. Le développement de la marine suédoise suivit de près l’extension de l’armée. Gustave Vasa n’eut besoin que d’appeler de Venise des constructeurs à son aide. En quelques années, les fiords suédois virent flotter plus de gros vaisseaux que n’en possédait alors aucune autre puissance. Quelle force les porte-glaives auraient-ils opposée à ce nouvel ennemi ? Les bourgeois mêmes des villes se soulevaient contre eux. Kettler, dès le début, se sentit non-seulement compromis, mais livré. Il n’hésita pas. Pressé entre les troupes d’Erik et les légions d’Ivan, il chercha son salut dans une alliance intime avec les Jagellons. Déjà le grand-maître s’était lié par un pacte avec la Lithuanie. Il avait commencé par aliéner son indépendance pour un prêt de 600,000 florins ; le 28 novembre 1561, il se reconnut définitivement, par le traité de Vilna, vassal et tributaire du roi de Pologne. Sigismond-Auguste le créa duc héréditaire de Courlande. Kettler eut la partie de la Livonie située sur la rive gauche de la Duna ; la portion de cette province qui s’étendait à la droite du fleuve fut incorporée à la Lithuanie. Le dernier débris de l’ordre teutonique cessait d’exister. De cet ordre fameux, il ne restait plus que deux ducs, Albert de Brandebourg et Gothard Kettler, tous deux vassaux du roi dont les états touchaient aux états du tsar.

Un pareil arrangement ne pouvait manquer d’amener une rupture ouverte entre Sigismond-Auguste et Ivan IV. Tout l’avenir de la Russie était ce jour-là en jeu. Si la Russie se laissait refouler vers l’Orient quand le ciel lui envoyait, pour favoriser ses projets, la connivence inespérée de la Suède, il était facile de prévoir que ce ne serait pas le dernier avantage que les Polonais et les Lithuaniens obtiendraient sur la principauté de Moscou. L’heure était donc en 1562 solennelle, la crise, s’il en fut jamais, décisive. Ivan n’avait pas eu de peine à le comprendre, et, au moment même où il donnait audience à Jenkinson, ses troupes se rassemblaient déjà de toutes parts sur les frontières occidentales de la Russie. 300,000 hommes allaient investir Polotzk ; Jenkinson pouvait en porter la nouvelle au sophi.

Le 27 avril 1562, l’intrépide voyageur sortait de Moscou et gagnait en poste Nijni-Novgorod. Là il trouvait l’ambassadeur qui avait dîné le 15 mars au Kremlin, et s’embarquait en sa compagnie sur le Volga. Le 10 juin, le Volga le déposait sur le rivage au bord duquel s’élève la ville des mendians et des mouches, la cité à demi