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l’empereur a été mal renseigné ; la faute en est au secrétaire des étrangers, qui n’est pas mon ami. » Trois jours après, ce secrétaire avait complètement changé de langage : « Le plaisir de l’empereur n’était pas seulement que l’envoyé de la reine pût librement traverser ses domaines pour se rendre en Perse, l’empereur voulait aussi que des lettres de recommandation lui fussent remises pour les princes hircaniens, margiens et persans. » L’influence d’Osip Népéi triomphait, et Osip mettait son honneur à seconder l’ascendant britannique.

Les audiences de congé en Russie se donnaient à table. Le 15 mars 1562, on eût pu remarquer au nombre des convives d’Ivan IV deux ambassadeurs : l’envoyé de la reine Elisabeth et un envoyé du roi d’Hircanie. L’empereur ne se contenta pas de gratifier encore une fois Jenkinson d’une coupe d’hydromel ; il voulut, après lui avoir fait remettre les lettres d’introduction promises, lui confier lui-même de vive voix « certaines choses d’importance. » Un instant suspendus, les événemens avaient repris leur cours ; au mois de mars 1562, Ivan IV ne préparait plus l’envoi d’une armée en Circassie ; il avait au contraire intérêt à maintenir la paix sur ses frontières méridionales, car ses possessions baltiques se trouvaient sérieusement menacées.

Il suffit d’un coup d’œil jeté sur la carte pour s’expliquer les nombreuses convoitises qu’excitait l’héritage, dès cette époque ouvert, des chevaliers porte-glaives. Quel magnifique développement de cités crénelées, d’évêchés et de ports, présentait ce long littoral qu’ont fini par se partager la Russie et l’Allemagne ! Après le territoire de la ville libre de Lubeck, après la Poméranie et la Prusse ducale, après Stettin, Stralsund, Dantzick et Kœnigsberg, si l’on continuait de se diriger à l’est, vers la baie au fond de laquelle débouche la Neva, on rencontrait d’abord la Courlande et Mittau, puis la Livonie et Riga, l’Esthonie et Revel, Narva enfin, marquant la limite occidentale de l’Ingrie : la Suède, le Danemark, la Pologne guettaient, comme la Russie, depuis longtemps cette proie ; mais la Russie avait été la première à en emporter un lambeau. Alarmés des rapides progrès d’Ivan IV, les trois princes dont les conquêtes russes menaçaient de frustrer l’espoir, trouvèrent bon, en 1559, de s’entendre pour intervenir en faveur des chevaliers. Ivan dut accorder au grand-maître Kettler, une trêve de six mois. La mort de Gustave Vasa, survenue le 29 septembre 1560, remit tout en question. Le successeur de Gustave, le roi Erik, couronné à Upsal le 29 juin 1561, inaugura son règne par la prise de Revel et par l’occupation du reste de l’Esthonie. Gothard Kettler venait d’opposer une résistance opiniâtre au tsar ; il essaya de résister également au roi de Suède, mais la partie, cette fois, était