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ainsi éveillés. On charge immédiatement les chameaux, et vers minuit, par une obscurité profonde on se remet en marche. Enfin le 23 décembre 1558, après cent-un jours de dangers, de misères, de souffrances inouïes, la caravane arrive à Boukhara ou Boghar. Elle se trouve au centre de l’antique Bactriane. C’est là que vers l’année 1253, trois cents ans environ avant Jenkinson, arrivaient de Soudagh et des bords du Volga Nicole et Matteo Polo.


II

Boghar ou Boukhara est située dans la partie la plus basse de tout le pays. Jenkinson place cette ville par 39° 10’ de latitude. Ici encore le voyageur anglais diffère peu des géographes modernes[1]. « La ville, dit-il, est entourée d’un haut mur de terre qui a plusieurs portes : elle est divisée en trois parties ; deux parties appartiennent au roi, la troisième partie est abandonnée aux marchands. Chaque métier a sa résidence et son marché distincts. La ville est très grande ; les maisons, pour la plupart, sont bâties en terre. Il existe cependant quelques maisons de pierre, des temples, des monumens somptueusement construits et dorés. On remarque surtout à Boghar des bains qui n’ont pas leurs pareils dans le monde. Une petite rivière traverse la ville par le milieu ; l’eau de cette rivière est malsaine et cependant il est défendu à Boghar de boire autre chose que de l’eau ou du lait de jument. Quiconque enfreint cette loi est fouetté et battu cruellement en plein marché. Des officiers sont spécialement chargés de veiller à ce que nul ne viole à ce sujet la loi. Ils entrent dans les maisons pour s’assurer qu’on n’y recèle ni eau-de-vie, ni vin, ni hydromel, S’ils en trouvent, ils brisent les vases, répandent la liqueur et punissent sévèrement les maîtres de la maison. A la seule haleine d’un homme ils découvrent s’il a bu de quelque breuvage prohibé. Il y a un métropolitain à Boghar : c’est lui qui maintient avec cette rigidité l’exécution du précepte. Il est plus obéi que le roi, car le roi lui-même il peut le déposer et en nommer un autre suivant son bon plaisir : il l’a fait pour le roi qui régnait, quand nous sommes arrivés à Boghar, il l’avait fait aussi pour le prédécesseur de ce dernier. Depuis longtemps il l’accusait de se montrer favorable aux chrétiens ; il entra une nuit dans sa chambre et le tua. Ce pays de Boghar était autrefois soumis aux Persans ; maintenant il forme un royaume séparé. Des difficultés religieuses ont amené la séparation. Les Persans ne veulent pas se raser la lèvre supérieure ; les gens de Boghar et les autres Tartares se la rasent. Les Persans

  1. La position récemment assignée à cette ville donne pour la latitude 39° 48’.