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qui les accompagne, ont, par bonheur, des mousquets ; ils en font bon usage et compensent ainsi la supériorité des bandits, meilleurs archers que les paisibles marchands qu’ils attaquent. Des pertes assez sensibles ont bientôt refroidi l’ardeur des brigands ; une trêve tacite finit par s’établir. Les voyageurs en profitent pour se retirer sur une colline et s’y fortifier avec leurs ballots ; les chevaux et les chameaux sont placés à l’abri dans l’intérieur de l’enceinte. En renonçant à lutter contre la mousqueterie, les voleurs n’ont pas perdu l’espoir de réduire la caravane ; la position qu’ils occupent est le gage d’un triomphe certain. On ne peut arriver au fleuve qu’en passant sous la volée de leurs flèches, et il y a deux jours que voyageurs et chameaux n’ont rien bu. Au milieu de la nuit, le chef des brigands détache vers les marchands un parlementaire. Ce messager s’arrête à mi-distance entre les deux troupes ; il appelle à haute voix le capitaine de la caravane. « Que le caravan-basha vienne sur-le-champ conférer avec lui ! » Le caravan-basha est un homme avisé et prudent, rompu de longue date à toutes les fourberies du désert. « Je ne quitterai pas ma troupe, répond-il, pour aller entre les deux camps écouter tes propositions ; mais si ton prince, si tous tes compagnons veulent s’engager par serment à respecter la trêve, j’enverrai un des nôtres avec qui tu pourras aussi bien qu’avec moi t’expliquer. L’offre ne te convient-elle pas ? tu n’as qu’à retourner vers les tiens. » Le prince resté au milieu de sa troupe n’était pas assez éloigné pour ne pas avoir entendu ce colloque. Sans attendre que son parlementaire lui ait rapporté les paroles du caravan-basha, il prête d’une voix forte le serment exigé. Aussitôt un hadji descend de la colline. « Notre prince, lui dit le messager, fait savoir par mon entremise au caravan-basha et à tous ceux d’entre vous qui êtes des circoncis, qu’il ne désire pas verser votre sang. Remettez seulement entre ses mains les mécréans que vous avez admis dans votre troupe. Livrez-les à notre chef avec leurs marchandises. Le prince n’exige rien de plus, vous pourrez aller ensuite en paix. Si vous refusez, vous serez traités aussi cruellement que les chrétiens. » Le caravan-basha fait répondre qu’il n’a dans sa compagnie ni chrétiens, ni autres infidèles. Il n’a que trois Turcs qui appartiennent, comme le reste de la caravane, à la loi de Mahomet ; il est résolu à mourir plutôt que de les livrer. Pendant qu’on discourt ainsi, les brigands, peu soucieux de la foi jurée, s’élancent sur le hadji, le saisissent et l’entraînent vers leur camp avec de grands cris de triomphe. Il était fort à craindre que le saint ne cédât aux mauvais traitemens et aux menaces. Pourquoi s’obstinerait-il ; nier la réalité ? Pourquoi affronterait-il, outre la mort suspendue sur sa tête, les peines plus redoutables encore réservées par le prophète aux parjures ? Pourquoi ? Parce que, si les