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que vous portez là ? demande son mari, qui a vu le regard de Deronda s’y fixer.

— C’est un vieux bijou que j’aime, répond tranquillement Gwendoline. Une fois je l’ai perdu, et quelqu’un l’a retrouvé.

— Eh bien ! finissez-en avec ces comédies de mauvais goût et ces signes télégraphiques que les gens sont censés ne pas voir. Rien n’est plus vulgaire.

— Je puis vous raconter toute l’histoire de ce collier, dit vivement la jeune femme outragée.

— Je ne veux rien savoir. Ce que je tiendrai à découvrir, je le découvrirai sans l’aide de personne. Veuillez seulement ne plus vous donner en spectacle.

— Désirez-vous que je ne parle pas à M. Deronda ?

— Je me soucie de tous les drôles qui rôdent autour de vous. Parlez-lui tant que vous voudrez. Je l’inviterai même à venir chez moi ; mais vous vous rappellerez que vous êtes ma femme, et vous tiendrez convenablement cet emploi ou vous irez au diable.

Tel est le ton de Grandcourt après sept semaines de mariage, et on ne peut s’étonner qu’il se fasse haïr. Deronda trouve un jour Gwendoline partagée entre le désespoir et la colère. Elle lui dit : — J’ai peur de tout, j’ai peur de moi-même. Poussée à bout, je suis capable de n’importe quel coup de tête.

Et il a le courage de lui répondre presque sévèrement : — Que ces craintes mêmes soient votre sauvegarde. N’augmentez pas vos remords. Pensez aux douleurs d’autrui au lieu de vous appesantir sur vous-même. Tâchez de faire un peu de bien.

— Vous me croyez égoïste ? demande Gwendoline.

— Vous ne resterez pas égoïste, répond ce jeune confesseur. — Et il lui trace si bien son devoir qu’elle finit par lui dire : — Merci, je serai meilleure pour vous avoir connue. — Elle s’efforce de vaincre son orgueil en effet et de se résigner, mais ce n’est pas pour réussir à vivre en meilleure intelligence avec Grandcourt, c’est pour pouvoir se dire : — Si Daniel voyait au fond de mon cœur, il me trouverait moins méprisable.

Afin de lui complaire et aussi pour éclaircir un doute horrible que le sceptique Grandcourt a jeté dans son esprit, elle va trouver Mirah, elle la patronne avec zèle. Cependant la chaste admiration de Daniel pour cette enfant l’irrite. — Je ne puis, dit-elle, avoir grande sympathie pour les personnes angéliques. Je ne crois pas à leurs souffrances.

— En effet, répond Deronda, la vieille histoire de la brebis égarée est toujours vraie. Étant tous susceptibles de faillir, nous nous intéressons d’autant plus vivement à quiconque lutte contre la tentation.

— C’est là une manière de parler, dit Gwendoline non sans