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obligés de lancer aux joueurs en passant un anathème bourgeois. Non, il est jeune, et distingué d’apparence ; il m’admire.

Cette jeune personne a la prétention de savoir sur le bout du doigt ce qui est admirable, et la ferme certitude d’être elle-même admirée ; c’est même là le fond de ses convictions, convictions qui ont reçu une légère atteinte, mais sans être abattues pour si peu.

Le soir, dans cette même salle, éblouissante de lumières et de toilettes, les hommes exaltent et les femmes dénigrent la beauté de miss Gwendoline Harleth. Elle passe semblable à une ondine, en robe vert de mer avec des ornemens d’argent, la longue plume verte de son chapeau retenue par une agrafe d’argent et flottante sur ses beaux cheveux d’un brun clair.

— Unique dans son genre, cette miss Harleth !

— Ne trouvez-vous pas qu’elle a du serpent sous cet attirail vert et argent, surtout lorsqu’elle tourne son long cou de côté et d’autre comme elle le fait ce soir ?

— A mon avis, un homme, un fou s’entend, se ferait pendre pour elle.

— Vous aimez alors un nez retroussé ?

— Quand il va avec un pareil ensemble !

— Il lui faudrait un peu de couleur aux joues. C’est une sorte de beauté spectrale que la sienne.

— Au contraire, sa chaude pâleur me paraît être un de ses charmes.

— On dit qu’elle a perdu aujourd’hui tout ce qu’elle avait gagné. Est-elle riche ? Qui sait ?

— Oui, qui sait ? Que sait-on de qui que ce soit ici ?

La remarque que Gwendoline tourne de côté et d’autre son cou de serpent plus que de coutume est juste. Elle cherche involontairement l’inconnu dont le regard scrutateur lui a causé une impression si désagréable. S’adressant à un M. Vandernoodt, qui a la réputation de connaître tout le monde, elle lui demande du ton languissant qu’elle sait donner en certaines circonstances au clair soprano de sa voix : — Qui donc est là, près de la porte ?., ce jeune homme brun avec une physionomie insupportable…

— Insupportable ? répète son interlocuteur. Je ne trouve pas. Il est remarquablement beau. Nous l’avons à notre hôtel ; il vient d’y arriver avec sir Hugo Mallinger.

— Son nom ?

— Deronda.

— C’est un Anglais ?

— Oui. Il passe pour un parent de sir Hugo. M. Deronda vous intéresse ?

— Il ne ressemble pas aux autres jeunes gens.