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d’autres grands pays. Sous d’autres rapports, ils nous ont même devancés, et tout cela malgré le haut prix que la main-d’œuvre conserve là-bas. On dirait que nous sommes leurs instituteurs et leurs maîtres, comme l’Italie le fut pour nous à l’époque de la renaissance, et qu’ils sont appelés peut-être à l’emporter un jour sur nous comme nous fîmes des Italiens. Venise, Milan, Florence, nous enseignèrent jadis à fondre les glaces, à tisser la soie et le velours, et bientôt nous les dépassâmes ; en sera-t-il de même des États-Unis à notre égard ?

N’avons-nous pas vu aussi leur prééminence qui s’annonce dans les constructions mécaniques ? N’avons-nous pas dit que leur grand constructeur Corliss avait envoyé de ses machines à vapeur en Europe, notamment à la fameuse filature de la Lys à Gand ? C’est par milliers qu’il faut compter les machines agricoles que les Américains ont fournies au vieux monde. Enfin leurs types de locomotives, mais surtout de wagons à voyageurs, si confortables, si commodes pour la nuit, sont aujourd’hui partout usités, principalement en Angleterre, en Suisse, en Allemagne, en Italie, et jusque sur nos chemins de fer français. Dans tout le Canada, dans toute l’Amérique espagnole, on n’en connaît pas d’autres.

Puisqu’il en est ainsi, ne serait-il pas temps pour les États-Unis de renoncer au système économique suranné qu’ils ont adopté depuis douze ans dans la pratique des échanges internationaux ? Les étonnans progrès qu’ils ont faits en un siècle sont dus à toute autre cause qu’au régime douanier protecteur, et sur certains points prohibitif, qui est en vigueur depuis la guerre de sécession. Quand les filateurs des États de la Nouvelle-Angleterre et les maîtres de forges de la Pensylvanie et de l’Ohio, délégués au congrès fédéral, disent que Colbert sous Louis XIV avait de cette façon commencé la fortune industrielle de la France, et qu’ils veulent faire de même chez eux, on peut leur répondre que le temps et les lieux sont changés, que l’Amérique n’est pas l’Europe et qu’elle doit plus à ses libres institutions politiques, à son climat, à ses richesses naturelles, à la fécondité de son sol, à sa disposition topographique, à l’afflux toujours plus considérable des immigrans, qu’elle doit plus à toutes ces causes heureuses et persistantes qu’à un système passager de tarifs mal conçus, mal appliqués, et qui ont eu surtout pour effet de provoquer la vénalité, la corruption des administrateurs publics.

Tous les négocians, les industriels, toutes les chambres de commerce, ne cessent de se plaindre en Europe des tarifs douaniers américains. Il est vraiment curieux que dans le pays de la liberté par excellence la liberté des transactions extérieures soit la seule