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sans seconde. De part et d’autre, sur son passage, la foule stationnait curieuse, émue, répondant aux chants et aux acclamations qui partaient des fenêtres ou des bandes processionnaires.

Cette imposante cérémonie nocturne, que ne dirigeait aucun corps officiel ni de la cité, ni de l’état, ni de l’Union, avait duré de huit heures du soir à une heure du matin, et parcouru depuis le bas jusqu’au haut de la ville une longueur de plusieurs kilomètres. Un million d’hommes, toute la ville de New-York était sur pied, et, chose incroyable, pas un accident, pas une bataille n’avait eu lieu ; puis tout ce monde s’était paisiblement séparé, et chacun était rentré chez soi. De la part des acteurs comme des spectateurs, tout s’était passé dans le plus grand ordre. C’était une grande nation qui était debout, et qui faisait comme son inventaire et son recensement, voulant juger des résultats qu’elle avait conquis en un siècle.

Boston, Saint-Louis, Cincinnati, Chicago, San-Francisco, avaient tenu à rivaliser d’éclat avec Philadelphie et New-York. Saint-Louis, où venait de s’assembler la convention démocratique ; Cincinnati, où s’était réunie quinze jours auparavant la convention républicaine, celle-ci proclamant pour son candidat à la future présidence le gouverneur Hayes de l’état d’Ohio, cette autre le gouverneur Tilden de l’état de New-York, n’auraient eu garde de laisser passer sans éclat les fêtes du centenaire, ne fût-ce que pour acclamer une fois de plus le triomphe de leur candidat. Seules, les villes du sud étaient restées muettes devant tous ces témoignages de joie. La Nouvelle-Orléans, naguère si renommée pour ses fêtes et ses joyeuses cérémonies, où entrait toujours comme un grain de gaîté créole et française, était obstinément demeurée indifférente. Elle avait eu tant à souffrir, la pauvre et malheureuse cité, depuis la guerre de sécession, où les vainqueurs l’avaient traitée comme des barbares, elle ne demandait plus que le recueillement et le silence, attendant tout de l’avenir, et le soin de panser ses blessures et le triomphe de sa cause !

Revenons à l’exposition de Philadelphie. La grande entreprise américaine, nous espérons l’avoir démontré, n’est pas une affaire manquée. Eu égard aux difficultés qu’elle a eu à vaincre, notamment la distance où l’Amérique est de l’Europe, elle peut se tenir pour satisfaite en se comparant à ses aînées. Elle a ses défauts, sans doute : on s’est plaint des hommes qu’elle emploie, on leur a imputé les vols, les incendies qui ont eu lieu ; on s’est plaint des façons d’agir de la douane ; mais quelle exposition n’a pas donné lieu à des récriminations ? Reste à se demander quel est l’enseignement général qui résulte pour le visiteur, avant tout pour le visiteur européen, de cette grande foire internationale. Il nous paraît que