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des petits bourgeois, qui n’ont aucun loisir dans la semaine pour aller visiter l’exposition et s’y instruire. Si l’on ne compte que 40,000 visiteurs payans pour ce jour exceptionnel, c’est une perte de 100,000 francs qu’imposent gratuitement les directeurs aux actionnaires de l’exposition, et pour 26 dimanches compris dans les six mois, du 10 mai au 10 novembre, une perte de 2 millions 600,000 francs.

Philadelphie a revêtu pour son exposition, pour le glorieux centennial, un air de fête, une animation qui ne lui étaient pas naturels. La ville de Penn passait auparavant pour la plus monotone et la plus endormie de l’Union. Depuis le 10 mai, toutes les fenêtres, à tous les étages, sont ornées de drapeaux. Le pavillon étoile s’y marie volontiers aux oriflammes étrangères, et le coup d’œil des longues rues qui divisent la ville en carrés est des plus réjouissans. A l’hôtel de ville, où l’on garde pieusement les reliques du temps de l’indépendance, un huissier en tricorne et perruque poudrée, culottes courtes, habit à la française orné de passementeries et de boutons d’or, se promène gravement devant la porte, au grand ébahissement des gamins ; mais c’est surtout aux approches de l’exposition que les changemens survenus sont intéressans à constater. Là où n’étaient que des terrains vagues ont surgi en un clin d’œil de vastes hôtels, des jardins publics, des restaurans, une gare de chemin de fer, des buvettes et mille boutiques diverses. C’est comme une grande foire qui sert de prélude à celle plus sérieuse qu’on va voir. Tous ces impresari irréguliers ont fondé les espérances les plus désordonnées sur le succès de leur industrie, de leur exhibition, et plus d’un, la pièce finie, regagnera tout penaud son logis en constatant qu’il a plus perdu que gagné et qu’il eût mieux fait de ne pas venir. C’est l’éternelle histoire de toutes ces entreprises folles qu’un jour voit naître et qu’un jour voit mourir, et ce bon public qu’on croit sans cesse prendre au traquenard est au demeurant sur ses gardes.

Dès le matin, les cars rapides, qui courent sur les tramways, amènent les visiteurs, de minute en minute, de tous les quartiers de Philadelphie au parc de Fairmount. En partant du bas de la ville, des bords de la Delaware, on ne met pas moins d’une heure. Philadelphie se glorifie d’être la ville la plus étendue de l’Amérique ; elle compte 200,000 maisons pour ses 800,000 habitans, et une de ses rues mesure 32 kilomètres de long, deux fois la distance de Paris à Versailles. Les cars allant à l’exposition présentent un spectacle curieux. Comme on ne refuse jamais personne, ce sont par momens de véritables grappes humaines qui s’empilent partout, en dedans devant les banquettes, au dehors sur les plates-formes. Le soir, au retour, tel omnibus qui est fait pour 25 voyageurs en