Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/750

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que s’il cesse d’être divisé. Espérer que les factions désarmeront enfin devant la république constitutionnelle, quand elles ne l’ont pas fait devant l’occupation étrangère, serait une illusion par trop naïve pour qui connaît l’indomptable ténacité des partis extrêmes ; mais serait-ce trop présumer du patriotisme des républicains vraiment politiques que de croire que, devant cette nécessité absolue de la paix intérieure, ils ajourneront à des temps meilleurs des réformes qu’ils ont peut-être raison de tenir pour bonnes et justes en principe, opportunes même, si l’on veut, à l’époque où ils les méditaient et les préparaient, mais qui auraient en ce moment le grave inconvénient d’agiter le pays, de troubler sa vie normale et d’y semer encore de nouveaux germes de division. Est-il besoin d’indiquer ces réformes qui ont occupé la pensée, non-seulement des radicaux proprement dits, mais encore des républicains qui ne passent point pour des esprits violens ou chimériques, telles que la réforme de l’institution militaire, la séparation de l’église et de l’état, la réforme du budget et de l’impôt ? Qui de nous, quand la France passait pour la première puissance militaire de l’Europe, n’a pas enseigné ou écrit ses utopies de politique radicale ? Qui de nous n’a pas cru à la suppression plus ou moins prochaine des armées permanentes et à l’inévitable avènement des États-Unis d’Europe ? Qui de nous n’a pas soutenu le droit illimité de la presse, de la parole publique, le droit absolu de réunion et d’association ? Hélas ! les derniers et cruels spectacles, toujours présens à notre imagination, de la guerre étrangère et de la guerre civile, ne nous permettent plus un optimisme qui ne comptait ni avec l’inertie, ni avec l’ignorance, ni avec les passions des masses. La France est encore à cette heure le noble blessé dont il ne faut toucher les plaies que d’une main douce et délicate ; elle sera longtemps un convalescent auquel il faut mesurer le traitement par les réformes au degré de force qui lui permet de les supporter.

Dût-on trouver notre sagesse actuelle par trop timide, nous avouons que nous irions encore plus loin dans la voie de la politique conservatrice. Nous rencontrons dans le parti républicain nombre de conservateurs d’intention et de sentiment qui cèdent perpétuellement au courant démocratique et consentent à toutes les concessions, à toutes les transactions qui énervent le pouvoir et suppriment doucement et graduellement les obstacles opposés à l’entraînement de ce courant. A leurs yeux, on est conservateur, pourvu qu’on n’attaque point la famille, la propriété et la religion. À ce compte, nous ne voyons que M. Naquet qui ne puisse être classé parmi les conservateurs. Nous sommes plus exigeans : les intentions et les sentimens ne nous semblent point suffire pour faire de vrais conservateurs, selon les besoins de la situation