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à chaque moment selon l’humeur bien connue de deux ou trois intransigeans de la droite. Les conservateurs constitutionnels, qui forment le groupe le plus nombreux au sénat, ne savent-ils point, par la cruelle expérience qu’ils en ont faite, que leurs alliés, légitimistes intransigeans et bonapartistes, sont tout prêts à les abandonner pour se joindre à leurs adversaires de gauche, même sur des questions où les intérêts et les principes conservateurs sont engagés, du moment où ces alliés peu sûrs espéreront faire sortir d’une situation mauvaise ou désespérée la restauration de leur principe ou de leur prince à tout prix ? Ce n’est donc pas seulement le ministère actuel qui ne peut compter sur une pareille majorité, défiante, sinon ouvertement hostile ; c’est toute majorité conservatrice, c’est même toute espèce de majorité constitutionnelle ou inconstitutionnelle, puisque, si par impossible on venait à s’entendre pour détruire la constitution, on ne pourrait se mettre d’accord pour la remplacer. Le caractère même de cette majorité est de ne pouvoir faire prévaloir aucune politique, pas plus monarchique que républicaine. Majorité de coalition, et non de conciliation, elle peut détruire sans rien édifier ; majorité d’opposition, non de gouvernement, elle peut faire tomber des ministres (et encore la constitution lui donne-t-elle cette puissance) ? elle ne peut faire marcher aucun ministère. On nous dit bien que dans le groupe légitimiste et dans le groupe bonapartiste de cette majorité se trouvent en très grand nombre des esprits sages et pratiques que le fanatisme politique n’aveugle ni n’égare, et qui sauront toujours, quand l’intérêt conservateur, le péril social, comme on dit, sera en jeu, faire taire l’intérêt ou la passion de parti. Nous le reconnaissons, il y a dans tout parti, surtout dans le parti bonapartiste, d’habiles gens qui ne se soucient point de courir les aventures avec les fous ; mais les conservateurs constitutionnels sont-ils bien sûrs de les retrouver avec eux dans une situation grave ou troublée, où la foi ébranlée ou latente se raffermit et se montre avec l’espoir du succès ? En ont-ils déjà fait l’expérience ? Assurément l’entente est facile, tant qu’il ne s’agit que de se réunir contre ce qu’on est convenu d’appeler l’ennemi commun, et encore qui peut assurer que légitimistes absolus et bonapartistes impatiens ne voteront pas tout à coup avec les radicaux, comme ils l’ont fait dans la dernière assemblée ? S’ils peuvent créer ainsi des obstacles et des périls pour le gouvernement qu’ils ne font que subir, si surtout leur défection peut amener une de ces situations extrêmes qui permettent à l’ambition des uns, au fanatisme des autres de tout espérer, que deviendra la majorité conservatrice alors ? Nous supplions les chefs de la fragile et douteuse majorité qui n’a encore donné signe de vie que sur la collation des grades et l’élection de M. Buffet, d’y