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des armes, comme si elle n’était pas la réunion des plus grandes puissances ou comme si les belligérans croyaient pouvoir se faire un jeu de son autorité. La question est maintenant de savoir si le dernier mot de cette médiation laborieuse et contrariée sera la paix ou la continuation de la guerre, si les passions qui s’agitent seront plus fortes que la raison de tout un continent, si l’Europe ne trouvera pas dans toutes les ressources morales et diplomatiques dont elle dispose les moyens d’empêcher la propagation d’un incendie témérairement allumé, imprudemment entretenu.

Non assurément, on ne peut se payer d’illusions, malgré les garanties qu’offrent toujours les intérêts immenses qui sont en jeu, malgré les démonstrations pacifiques et toutes les apparences de bonne volonté des cabinets, cette situation n’est pas sans gravité. Elle a surtout cela de périlleux qu’elle ne cesse d’être à la merci d’un incident imprévu, d’une complication ou d’une circonstance qui d’un instant à l’autre peut tout changer et même remettre en doute l’autorité de cette médiation à peine engagée. Les difficultés sont partout dans cette œuvre de pacification et de préservation dont l’Europe est occupée aujourd’hui, et, chose à remarquer, les plus sérieuses de ces difficultés, les prétentions, les résistances, viennent moins encore des vainqueurs que des vaincus. La Turquie, à la vérité, est la première intéressée à ménager l’Europe, elle ne gagnerait rien à prétendre abuser de ses victoires, et elle a beaucoup à se faire pardonner pour ses banqueroutes, pour son anarchie intérieure, pour les barbaries commises en son nom. Elle porte désormais devant le monde civilisé le poids de ces « atrocités » dont un commissaire officiel anglais, M. Baring, vient de retracer le tableau dans un rapport aussi impartial que véridique.

C’est pour le moment le malheur des Turcs : ils sont responsables de ce qu’ils ont laissé faire et même des excès qui pourraient être mis au compte des insurgés bulgares. Ils en subissent les conséquences par une impopularité qui compromet certainement leur cause ; les massacres de la Bulgarie obscurcissent leurs succès sur la Morava. Il n’est pas moins vrai que dans cette guerre qui leur a été déclarée par les Serbes, par les Monténégrins, ils se sont défendus victorieusement, et qu’après avoir repoussé une agression assez peu justifiée, ils ont aujourd’hui l’habileté de rester modérés, de ne point chercher à embarrasser l’Europe dans ses tentatives de pacification. Ils semblent s’étudier à mettre la raison de leur côté. S’ils ont décliné un armistice régulier dont on paraissait devoir abuser contre eux, ils ne se sont nullement refusés à une suspension d’hostilités, qui pouvait devenir une trêve de fait, laissant toute latitude à une négociation sérieuse. Ils ont publié, il est vrai, le mémorandum de leurs prétentions pour la paix définitive, et dans cette œuvre de diplomatie ils ont inscrit des conditions qui auraient