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Porte un droit de souveraineté purement nominal. Il n’aurait garde de déposséder le sultan, qui conservera, s’il lui plaît, son titre de grand-seigneur. De fait, le propriétaire de la maison en deviendra le concierge, chargé d’en interdire l’entrée aux puissances étrangères ; il ne tirera le cordon qu’à bon escient. Comment s’y prendra le grand-seigneur quand il n’aura plus ni argent, ni armée, pour empêcher qu’on n’entre chez lui sans sa permission ou pour décourager les princes ses tributaires de se faire proclamer rois par les soldats qui leur arrivent de Moscou ? Au surplus, il faudrait que M. Gladstone convertît à ses dangereuses chimères l’Austro-Hongrie, si intéressée dans le règlement des affaires d’Orient, et dont la sûreté est si nécessaire à L’équilibre européen comme à la civilisation. Le comte Andrassy a déclaré hautement qu’il n’entendait pas échanger son voisin paisible contre un voisin turbulent. — « De nouvelles provinces autonomes, écrivait l’autre jour un publiciste viennois, ne seraient qu’un, nouveau foyer de panslavisme, un nouveau théâtre pour des insurrections, un nouveau champ d’essai pour les aventuriers russes, une proie offerte aux convoitises de la Serbie ; en un mot, un danger permanent pour l’empire austro-hongrois. » C’est un noble fleuve que le Danube et un. fleuve très utile ; ne le livrons pas aux interlopes de la politique.

L’Europe a donné tort à M. Gladstone, elle s’est ralliée aux propositions du chef du foreign-office. Elle a pensé que le meilleur parti à prendre était de maintenir le statu quo et d’imposer à la Turquie la réforme administrative ; elle a jugé aussi que cette réforme doit consister non à stipuler pour les chrétiens d’Orient des privilèges particuliers, mais à établir un système d’institutions locales qui assure aux musulmans comme aux orthodoxes grecs, comme aux catholiques romains, un droit de contrôle dans les affaires de leurs communes et des garanties contre l’arbitraire. Quelle, que soit la bonne volonté du gouvernement turc, la tâche que s’est donnée l’Europe est très ardue, très épineuse ; nous croyons cependant qu’elle en viendra à bout, si le général Tchernaïef veut bien le lui permettre. « Occupez-vous des faits, a dit un Anglais, et les principes, prendront soin d’eux-mêmes. » Tout est difficile en Orient, et c’est la partie du monde où les principes doivent le plus compter avec les faits. Que le cabinet tory mène à bien son entreprise, ni l’Europe ni l’Angleterre ne lui marchanderont leurs éloges. Après tout, si M. Gladstone reprenait demain la conduite des affaires, il est probable que sa politique ne différerait pas sensiblement de celle de lord Derby. Ainsi va le monde : quand on est dans l’opposition on a de l’humeur, on se livre à son caprice, on met la philanthropie au-dessus des intérêts de son pays, on écrit des brochures, et ce qu’on peut faire de mieux en revenant au pouvoir, c’est de les oublier.


G. VALBERT.