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trouve que la population de ce pays, qui était en 1871 de 26 millions d’habitans (non compris l’Irlande), sera de 59 millions au bout d’un siècle, de 93 millions dans deux cents ans, de 120 millions dans trois cents ans[1], et ainsi de suite. La consommation, calculée à raison de 4 tonnes, 65 par habitant, suivrait une marche parallèle, tandis que l’exportation resterait ce qu’elle est aujourd’hui. La conclusion, c’est que le stock de 146 milliards de tonnes que l’Angleterre possède encore sera épuisé au bout de trois cent soixante ans. En admettant que les ingénieurs de l’avenir réussissent à extraire aussi les houilles profondes situées au-dessous de 1,200 mètres, ce qui porterait le stock disponible à 200 milliards de tonnes, le terme final de la production serait reculé d’environ soixante-dix ans.

On ne peut s’empêcher toutefois de remarquer combien de pareils raisonnemens sont hasardés. A quelque point de vue qu’on se place, il faut toujours compter avec des éventualités impossibles à prévoir, et qui pourront bouleverser tous nos calculs[2]. En tout cas, il est certain que l’extraction ne continuera pas en pleine activité jusqu’à l’épuisement du dernier lambeau pour s’arrêter ensuite brusquement. On traversera d’abord une période de rareté et de cherté du combustible, qui, en limitant la consommation, prolongera la durée de la réserve souterraine, au détriment, il est vrai, de la prospérité du pays. On commencera d’ailleurs par épuiser les veines les plus riches et les plus facilement accessibles, — on les a déjà passablement écrémées, — et il arrivera un moment où l’exploitation des dernières couches deviendra tellement coûteuse qu’il sera plus économique d’importer du charbon. Bien avant de toucher à sa dernière réserve, l’Angleterre sera donc forcée de s’adresser à l’étranger ; « mais, dit le rapport, on peut douter avec raison que la suprématie industrielle du royaume-uni puisse se maintenir quand l’importation de la houille sera devenue pour lui une nécessité. » C’est ainsi que l’Angleterre compte anxieusement les siècles qui lui restent à vivre avant de céder le sceptre de l’industrie à d’autres peuples qui sont les élus de l’avenir.

Bien qu’il ne soit pas au pouvoir des hommes de rien changer aux fatalités naturelles, il est toujours utile de faire le bilan de ses destinées ; la grande enquête anglaise aura eu cette utilité de faire envisager sérieusement les moyens de retarder le terme de la

  1. La densité de la population serait alors de 5 habitans par hectare, trois fois la densité de la population de la Belgique. Ce serait une fourmilière humaine.
  2. En 1843, un ingénieur estimé, M. Gonot, annonçait qu’à la profondeur de 500 mètres il ne restait plus en Belgique assez de charbon que pour vingt années. La production était alors de 3 millions de tonnes ; plus de trente ans se sont écoulés, l’extraction a atteint 16 millions de tonnes, et dans le Hainaut par exemple la profondeur moyenne des puits n’arrive pas encore à 400 mètres.