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LE PROCÈS DE GALILÉE

de Galilée, particulièrement les professeurs de mathématiques, furent convoqués nominativement pour entendre la lecture de ces deux pièces.

Le jour où l’on fermait la bouche à un écrivain si habile, si fécond en ressources, si admiré du public, on espérait en finir du même coup avec la doctrine de Copernic, cette dangereuse doctrine qui épouvantait les théologiens en déplaçant le centre de l’univers, en dépossédant la terre de sa primauté pour y substituer le soleil, en ouvrant la voie à de redoutables hypothèses sur la pluralité des mondes et sur la fin de la création. Vains efforts ! la théorie du mouvement de la terre a survécu à toutes les condamnations. Ce n’est pas Galilée qui a prononcé, comme le veut la tradition, la célèbre parole : eppur si move, c’est la voix anonyme du genre humain qui, après sa mort, proclamait ainsi l’immortelle vérité de sa croyance.

Nous nous arrêterons ici ; nous ne voulons affaiblir par aucun commentaire l’importance des documens que nous venons d’analyser. Il reste acquis à l’histoire qu’au commencement du XVIIe siècle les congrégations romaines, ayant la prétention de représenter l’église et non désavouées par elle, se sont instituées juges d’une question scientifique et l’ont résolue contrairement aux conclusions de la science. L’éclat du génie de Galilée et la pitié qu’inspirent ses souffrances impriment à ce débat un caractère tragique et populaire ; mais que l’émotion causée par le spectacle d’une grande infortune ne nous dissimule pas la gravité du problème ! Au fond, il s’agissait de savoir si, dans les pays catholiques et destinés à demeurer tels, la science réussirait à se dégager de la domination de la foi. Le procès de Galilée, bien loin de retarder cette conclusion, comme on le croit généralement, la rendit au contraire inévitable et prochaine. Dès que la cour de Rome eut compris l’imprudence qu’elle avait commise en tranchant une question qui n’était pas de sa compétence, en s’exposant au danger d’être convaincue d’erreur le lendemain, elle fut intéressée autant que la science à séparer nettement les deux domaines distincts de la science et de la foi. Si elle évite maintenant de s’engager dans les controverses scientifiques, c’est qu’elle est avertie par un grand exemple qu’elle pourrait se compromettre en se prononçant. Son autorité résisterait difficilement à une seconde édition du jugement par lequel elle a défendu un jour au soleil de rester immobile, à la terre de tourner.


A. MÉZIÈRES.