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il n’accorda aucun délai. Il ne s’en rapporta même pas au témoignage de trois médecins qui attestaient la réalité de la maladie de Galilée ; il envoya chez lui l’inquisiteur en personne, en ordonnant de l’arrêter et de le conduire enchaîné à Rome, si on le trouvait en état de supporter le voyage. Le pauvre Galilée s’était mis au lit, et, comme le disait un de ses amis, « il courait bien plus de risques d’aller dans l’autre monde que d’aller à Rome. » On ne put le transporter qu’au mois de janvier 1633. Les bons offices du grand-duc de Toscane le suivirent jusqu’auprès de ses juges, et l’amitié de Niccolini l’y attendait : faibles secours contre de si puissans adversaires ! On lui donna d’abord pour prison le palais de l’ambassadeur, d’où on lui enjoignit de ne pas s’éloigner ; il n’en sortait que pour aller subir les interrogatoires auxquels le soumit le saint-office.

C’est le 12 avril qu’il fut interrogé pour la première fois. On lui demanda, pour commencer, s’il se souvenait de ce qui s’était passé en 1616, lorsqu’il avait eu à comparaître devant le cardinal Bellarmin et le commissaire-général du saint-office. Galilée convint qu’il avait entendu déclarer, ce jour-là, que le système de Copernic ne pouvait se soutenir ni se défendre, comme étant contraire aux saintes Écritures. Il peut se faire, ajoutait-il, qu’on m’ait en même temps prescrit à moi-même de ne soutenir ni ne défendre cette opinion, mais je ne m’en souviens pas, c’est déjà si ancien… Quelque intérêt qu’inspire aujourd’hui une cause qui se confond avec celle de la liberté de l’esprit humain, il est difficile de croire, comme le fait M. Dominique Berti, que Galilée ait répondu à ce premier interrogatoire avec une entière bonne foi. Quand une défense a été faite dans des termes aussi formels que ceux que nous avons rapportés, sur un point aussi déterminé, on n’en oublie ni la forme ni le fond. Aucune équivoque n’était possible après l’avertissement du cardinal Bellarmin, encore moins après l’injonction solennelle du commissaire-général. M. Dominique Berti se méprend sur les conditions psychologiques du souvenir lorsqu’il croit que Galilée a dû se rappeler plus facilement les paroles conciliantes du cardinal Bellarmin que les ordres menaçans du commissaire-général. Ce qui frappe le plus au contraire dans de pareilles circonstances, ce qui se grave le plus profondément dans le souvenir, c’est la menace. Comment oublier des paroles si simples, si nettes, d’un caractère si comminatoire : « Il vous est défendu de soutenir cette opinion, de l’enseigner et de la défendre, soit par écrit, soit de vive voix ou de quelque manière que ce soit. Autrement, le saint-office informera contre vous. » Ces derniers mots surtout durent s’enfoncer comme une flèche dans la mémoire de Galilée pour n’en plus sortir.