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traineur de djinrikisha, compris sous le nom de heïmin. On a vu les hommes d’état à l’œuvre ; il est inutile d’y revenir. Les kazoku peuvent se grouper autour de deux types principaux, qui sont les hommes de l’ancien et ceux du nouveau régime. Le kazoku de l’ancien régime n’a pas quitté les vêtemens de soie ; il demeure aux « avirons de Yeddo dans un yaski soigneusement entretenu, entouré de keraï qui le servent à genoux ; il est à peu près inaccessible aux étrangers, n’apprend pas les langues, se désintéresse de la politique et de la vie nationale, ne sort pas, ne voit personne et passe ses journées dans une sorte de torpeur rêveuse, à soigner ses fleurs, visiter ses collections, écouter les chants de ses femmes, se délasser en un mot dans des plaisirs souvent enfantins, rarement renouvelés, de la fatigue de vivre. D’ailleurs ses fils vont aux écoles européennes, voyagent en Angleterre, en France, en Amérique, et grandissent en général entre les mains de précepteurs qui en font des princes gâtés. Ainsi s’écoule et s’éteint sans bruit l’existence d’une quantité d’hommes qui portent les premiers noms du Japon et y ont exercé nominalement des pouvoirs de souverains.

Le kazoku du nouveau régime est converti à ce qu’il croit être le progrès ; il se bâtit à Yeddo une maison en briques, revêtue d’une couche de chaux blanche, avec persiennes vertes, bref en style de banlieue ; il a, s’il se peut, une voiture, s’habille chez le tailleur européen du port voisin, mange une cuisine européenne qu’il arrose de champagne, reçoit volontiers la visite d’un étranger, porte aux jours de cérémonie un costume analogue à celui de nos anciens sénateurs, n’est jamais plus heureux que quand il peut mêler à sa conservation un mot anglais, dépense enfin en fantaisies d’un goût moderne la pension que lui fait le trésor. Souvent aussi il est spéculateur : il se fait le bailleur de fonds de certaines entreprises commerciales où le plus souvent les bénéfices sont pour ses associés et son intendant et les pertes pour lui. Avec moins de dignité, que le précédent, il mène une existence aussi inutile. Quelques individus exceptionnels ont conservé une sorte d’énergie, adressent de temps à autre un mémoire à l’empereur ; c’est parmi eux qu’ont été pris quelques sénateurs ; on y a aussi rencontré des adversaires.

Parmi les shizoku, presque tous les hommes d’une valeur quelconque sont attachés au gouvernement ou occupés à le combattre. Les autres, au nombre de 60,000 environ, mènent une existence désœuvrée et improductive : ils sont un lourd fardeau qui pèse sur le peuple. La somme des connaissances va, il est vrai, se répandant dans cette classe ; c’est dans son sein que se recrutent les écoles de toute sorte, et les générations qui se préparent seront plus instruites que leurs aînées.