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les États-Unis avaient à Yokohama leur bureau de poste chargé d’expédier et de distribuer les correspondances d’Europe. Aujourd’hui les États-Unis, donnant les premiers l’exemple, ont supprimé leur office, et c’est désormais à des agens japonais qu’est confié le service des lettres expédiées, soit en Amérique, soit en Europe, via San-Francisco. Cette administration fonctionne régulièrement, quoique ses dépenses excèdent jusqu’ici ses recettes de 23 pour 100, et l’on peut espérer que des résultats satisfaisans engageront la France et l’Angleterre à suivre la voie ouverte par l’Amérique.

A côté des questions d’intérêt commun dans lesquelles les légations usent de leur influence collective, il en surgit d’autres qui regardent seulement l’un des pays représentés. Si, dans les premières, le cabinet de Yeddo s’étudie à rester sur la limite des refus possibles, dans les secondes au contraire on doit rendre justice à l’habileté qu’il déploie pour renvoyer chacun content et neutraliser les ministres les uns par les autres. Son but visible et souvent atteint est de tendre à chaque nation des amorces particulières et de lui créer des intérêts spéciaux assez puissans pour exiger de sa part le sacrifice des intérêts généraux. Chacune reçoit assez d’avances pour se croire favorisée, sans cependant l’être assez pour porter ombrage à ses rivales, et l’on divise ainsi non pour régner, mais pour rester libre d’agir à son gré. C’est surtout sur le choix du personnel étranger employé par le gouvernement que s’exerce cette politique oscillatoire, à laquelle, il faut le dire à regret, chaque nation se laisse tromper ; chacune pousse ses candidats et s’efforce de remplir les places occupées par l’autre ; les deux tronçons de la race anglo-saxonne poursuivent ici leur vieille rivalité ; l’Allemagne cherche à supplanter la France, l’Italie travaille à se faire une place, la Russie se réserve une influence qui n’a besoin d’aucun témoin vivant pour se faire sentir ; chaque peuple déploie dans cette compétition les qualités qui le distinguent.

Malgré l’exactitude avec laquelle il tient la balance, le Japon n’a-t-il rien à craindre de l’esprit envahissant de quelques-unes des puissances étrangères ? Non, sans doute, si l’on envisage une période de temps limitée ; non surtout, s’il réussit à prendre place parmi les nations civilisées avant que certains appétits ne, soient mûrs ; mais, il ne faut pas l’oublier, les règles du droit international n’ont jamais lié que ceux qui ne pouvaient les enfreindre impunément, et si la justice a quelque force entre races qui se x croient égales, elle n’en conserve guère d’une race prétendue supérieure à une race dite inférieure. On a vu si souvent la conquête se déguiser sous une philanthropie hypocrite et se couvrir du prétexte de répandre les bienfaits d’une bonne administration, des lumières, de la justice, de l’ordre, — il y a aux yeux de certains