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le ciel toujours mêlé aux émotions les plus terrestres. C’est surtout le mélange de ces deux choses qui rend intolérables en cette matière les plates théories d’Enfantin.

Il y a ici deux questions distinctes, aussi scabreuses l’une que l’autre : l’une qui regarde les rapports des deux sexes ; l’autre les rapports du couple sacerdotal avec les fidèles. Sur le premier point, Enfantin enseigne qu’il y a deux sortes de mariages : l’un perpétuel, l’autre mobile et changeant. Il part de ce fait qu’il y a deux sortes d’âmes, deux sortes de caractères : les uns ont des affections profondes, durables, continues ; les autres au contraire ont les affections vives, mobiles, passagères. Les uns sont constans et sujets à la jalousie, les autres à l’inconstance et au caprice. Il exprimera plus tard la même idée en disant qu’il y a deux types parmi les hommes : les Othello et les don Juan. Or le mariage actuel n’est conçu qu’au point de vue des hommes à humeur constante et fidèle ; les don Juan sont sacrifiés aux Othello. Dans la société nouvelle qu’exige le principe de la réhabilitation de la chair, toutes les formes des caractères doivent avoir leur satisfaction : « Les personnes vives, coquettes, séduisantes, attrayantes, changeantes, doivent être dirigées, considérées, utilisées de manière que leur caractère soit pour elles et pour l’humanité une source de joie et non de douleur. » C’est pourquoi il y aura deux formes « de la religion d’amour. » Le même homme avec la même femme toute la vie, voici une des formes de cette religion. « Le divorce, et une nouvelle union avec un nouvel époux, » voilà la seconde forme.

On se demandera en quoi cette nouvelle théorie diffère de celle qui est exposée dans la note d’Olinde Rodrigues : n’est-ce pas après tout le divorce de part et d’autre ? Or le divorce était alors réclamé par beaucoup d’esprits qui n’étaient pas saint-simoniens. Qu’y a-t-il donc là de si scandaleux ? Nous répondrons que, si la doctrine d’Enfantin n’avait pas d’autre sens que celui-là, il ne l’eût pas proposée lui-même comme une nouveauté, comme la doctrine de l’avenir. C’est qu’il y a en effet une très grande différence entre la théorie d’Enfantin et la théorie du divorce, telle qu’elle est comprise là où elle est actuellement pratiquée. Le divorce, partout où il existe, n’a jamais été regardé que comme un moindre mal, ayant pour but et pour effet d’éviter un mal plus grand. Le divorce doit être opposé, non au mariage, mais à la séparation de corps. Il est le remède, non du mariage malheureux, mais de la séparation qui, déclarée absolue et sans contrepoids, est supposée immorale. Sans doute, le mariage devrait être indissoluble ; mais il ne l’est plus du moment qu’il y a séparation. La séparation une fois acceptée, et elle l’est dans toute législation, il reste à savoir si, combinée avec le célibat, elle n’est pas un principe d’immoralité. Tel est le seul