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Une telle métaphysique soulevait une objection, la même que l’on faisait aussi en même temps à l’école de Cousin. C’était là, disait-on, du panthéisme. Non, répondaient les saint-simoniens, notre religion n’est pas plus le panthéisme que notre économie politique n’est le communisme. Où était donc la différence ? Suivant eux, le panthéisme consiste à considérer Dieu comme une « substance, » tandis que pour eux Dieu est une « activité vivante, » qui relie toutes choses. Le panthéisme ne voit en Dieu qu’une abstraction que l’on n’atteint que par la pensée, tandis qu’il est surtout un principe d’union auquel on s’élève par l’amour. On voit que ce qu’ils entendaient par panthéisme, c’était surtout le système de Spinoza : le leur ressemblait plutôt au système stoïcien, dans lequel Dieu est l’âme du monde ; mais ce ne sont là que deux formes différentes du panthéisme, et les saint-simoniens jouaient encore sur les mots. Quoi qu’il en soit, le caractère propre du nouveau dogme était ce qu’ils appelaient « la réhabilitation de la matière » ou « de la chair. » Le monde n’était plus condamné ; la vie n’était plus une vallée de larmes, un champ d’expiation ; le corps n’était plus un mal, l’homme n’était plus déchu, mais perfectible. On voit les conséquences : l’industrie était une œuvre religieuse ; la richesse, le luxe, le bien-être, n’étaient plus le signe et l’effet de la corruption ; les appétits des sens devenaient légitimes, les passions étaient mises d’accord avec la vertu. Il était trop facile de se laisser glisser sur cette pente et de franchir la limite fragile qui sépare le plaisir du désordre et les justes exigences de la nature des entraînemens de la sensualité.

Toute religion, après une doctrine de Dieu, a une doctrine sur la vie future. Quelle a été sur cette question l’attitude du saint-simonisme ? Dans les leçons de 1829, qui sont en grande partie l’œuvre de Bazard, il n’en est pas question. Cette doctrine paraît avoir été dans l’école un peu postérieure, et appartenir en propre à Enfantin plutôt qu’au dogme saint-simonien en général. On la trouve exprimée en termes très obscurs dans la Lettre à Duveyrier, et plus tard, beaucoup plus tard, en 1858, dans l’ouvrage sur la Vie éternelle, L’expression est caractéristique. Il ne s’agit pas de vie future, mais de vie éternelle. Déjà Spinoza avait dit : « Nous savons, nous sentons que nous sommes éternels. » Dans quel sens faut-il l’entendre ? Il ne s’agit pas pour Enfantin de l’immortalité dans une autre vie, mais de l’immortalité sur la terre. Serait-ce la métempsycose ? Non, la métempsycose est un rêve suivant Enfantin. Qu’est-ce donc alors, s’il n’y a ni autre monde ni métempsycose, et que peut-on appeler immortalité ? Il s’agit ici d’une vie idéale et toute morale qui se perpétue dans la pensée et dans l’amour des hommes. « Saint Paul revit dans Enfantin. » Enfantin revivra dans un autre, meilleur que lui. Chaque moment est le résumé du passé et le germe