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encore journal libéral, l’article de Jouffroy : Comment les dogmes finissent[1] . Dans ce travail, l’auteur examinait comment un dogme religieux grandit, décroît et meurt, comment dans sa dissolution se préparent les élémens d’un dogme nouveau. Il peignait vivement cette situation comme étant celle de notre âge, et montrait la jeunesse de son temps impatiente et avide d’une nouvelle doctrine.

C’est sous l’influence de ces idées et de ces impulsions, diverses que les disciples de Saint-Simon se préparèrent vers la fin de 1829 à transformer leur doctrine industrielle en une doctrine religieuse.

Et d’abord y a-t-il lieu à une doctrine religieuse ? L’humanité a-t-elle un avenir religieux ? Soutenir l’affirmative, c’était alors, devant les héritiers encore vivans du XVIIIe siècle, ce serait encore aujourd’hui, en présence du débordement des idées matérialistes, s’exposer à toutes les railleries, à tous les dédains ; c’est cependant ce que les saint-simoniens ne craignirent pas de faire. Ils ont contribué pour leur part à relever l’idée religieuse du naufrage où, pendant le XVIIIe siècle, elle avait paru sombrer. Tout ce qui a été dit de nos jours, tout ce qui se dit encore sur la religion de l’avenir, part de là. Ils affirmaient même que cette religion de l’avenir serait plus grande que celle du passé. Elle serait, elle devait être, selon eux, la synthèse de toutes les autres. Aucun fait, aucun progrès ne peut avoir lieu en dehors de Dieu et de sa loi. On se heurte, il est vrai, contre des préjugés répandus, par exemple que la religion est le fruit de l’enfance des sociétés, que la science en a définitivement délivré les esprits ; mais c’est là un nouveau préjugé. Les sciences (et les saint-simoniens se croyaient autorisés à en parler) n’ont fourni aucune preuve ni même aucune objection insoluble contre Dieu et l’ordre universel, ou plan providentiel. Ce ne sont pas les sciences qui sont irréligieuses : ce sont les idées philosophiques du dernier siècle, idées essentiellement négatives, fruit d’une société anarchique. Ce n’est pas dans leurs travaux positifs, dans les faits et dans les lois de la nature que les savans ont puisé leurs idées irréligieuses, c’est dans une hypothèse critique empruntée aux philosophes, à savoir que tout est le produit du hasard. Au contraire, que se proposent les sciences dans leur dessein final ? C’est de coordonner toutes les lois de la nature en une loi unique ; il faut donc admettre par hypothèse que tout est lié dans l’univers, ce qui est précisément le contraire de l’hypothèse du hasard. Plus la science se développera, moins elle sera portée à l’athéisme, plus elle rendra évident le plan providentiel. Voyez les plus grands savans, Newton, Kepler, Descartes, Leibniz ; tous ont été des hommes religieux. Cette controverse des saint-simoniens contre l’athéisme scientifique est très estimable.

  1. Pour bien comprendre l’importance de cet article, il ne faut pas oublier qu’il est de 1826, par conséquent très antérieur à la tentative religieuse du saint-simonisme.