Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/604

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On voit comment le saint-simonisme essayait d’éluder et de désarmer les objections que l’on fait d’ordinaire au communisme. Ces objections sont de deux sortes : c’est décourager le travail, dit-on, que de mettre tout en commun, car nul n’a d’intérêt à travailler, s’il n’a rien à lui. En outre, c’est méconnaître le droit au repos et au loisir : celui qui a travaillé toute sa vie a bien le droit de se réserver une part de ce qu’il a gagné pour se reposer dans ses vieux jours. Les saint-simoniens reconnaissaient ces deux vérités, et ils prétendaient y faire droit. Ils soutenaient que l’émulation est suffisamment excitée par l’avancement de fonctions, et le droit au repos suffisamment satisfait par la pension de retraite. Combien d’hommes aujourd’hui ne deviennent pas propriétaires dans le sens propre du mot, et travaillent cependant avec âpreté, soit pour obtenir de l’avancement, soit pour s’assurer une retraite ? Qu’y avait-il d’étrange à ce qu’il en fût de même pour tous et que chacun ne possédât que ce qu’il aurait mérité ? On invoque comme un sentiment naturel à l’homme le besoin de posséder ; mais ce sentiment n’est-il pas mieux satisfait dans l’artilleur qui aime sa pièce, dans le marin qui aime son bâtiment, quoique l’un et l’autre appartiennent à l’état, que dans l’oisif qui n’a de rapport avec ses champs et ses bois que par l’impôt que lui paient ses fermiers ?

Pour bien comprendre l’organisation du travail dans le système saint-simonien, il faut encore avoir devant les yeux l’organisation de l’armée. Dans l’armée, il y a des corps de génie, d’artillerie, de cavalerie, d’infanterie. De même il y aura des associations de cordonniers, de tailleurs, de fabricans de chapeaux. Toutes ces associations seront reliées entre elles, et elles agiront sous une impulsion unique. Dans l’armée, la camaraderie, la fraternité, existent entre les soldats, de même le rapprochement des hommes livrés aux mêmes fonctions formera des « familles d’élection. » De plus l’économie sera considérable. Ces dernières considérations nous montrent le point par où le saint-simonisme touche au fouriérisme.

Après la répartition des instrumens de travail vient la répartition des produits. Aujourd’hui cette répartition se fait par le mode de la vente et de l’achat, mode essentiellement vicieux, puisqu’il ne permet pas de régulariser la production, — immoral, car il établit dans la société une lutte permanente. Dans la société saint-simonienne, la distribution des produits se fera par l’état, comme celle des fonds. L’état sera le seul commerçant comme le seul industriel. Ici les saint-simoniens ne pouvaient dissimuler la parenté de leur système avec celui de Mably et de Babeuf, qui deviendra plus tard celui de Cabet. A côté des grands ateliers de production, il y aurait de grands magasins de distribution ; ces magasins sont entre les mains de fonctionnaires qui répartissent les produits « d’après la