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grave question de la finalité immanente ou transcendante, discutée par M. Janet avec non moins de force que d’impartialité. La cause finale réside-t-elle dans le temps et dans l’espace, dans le monde qui est son œuvre, ou faut-il la reléguer, comme disait jadis Cousin, sur le trône désert de son éternité silencieuse, au-delà du temps, de l’espace et du monde ? Dans son activité créatrice, opère-t-elle du dehors ou du dedans ? Que la science puisse admettre une cause finale opérant, dans la nature et par la nature elle-même, il ne semble pas qu’aucune de ses observations et de ses théories s’y oppose, et ce n’est pas trop présumer de l’avenir que de croire qu’elle finira par se rallier à la philosophie des causes finales ainsi entendue. Quand on lui parle d’une cause qui habite hors de l’espace et du temps, elle se voit en face d’une abstraction inintelligible et ne peut s’habituer à concevoir la cause suprême dans de telles conditions d’existence. Et si l’on essaie d’expliquer au savant comment elle crée le monde, comment elle le meut, comment elle l’organise et le gouverne, il déclare ne rien entendre à toutes ces sublimes conceptions et les renvoie dédaigneusement à la métaphysique. La science a-t-elle tort ? La philosophie incline de plus en plus à penser là-dessus comme la science.

Et comment garderait-elle ses vieilles idées sur la cause finale en face des nouveaux enseignemens de la science ? On comprend facilement qu’elle n’ait pu comprendre autrement son existence et son action, tant qu’elle n’a pas connu la nature. Quoi de plus simple, de plus clair, de plus facile à concevoir que le Démiurge de Socrate et de Platon, travaillant comme un incomparable artiste cette matière cosmique que l’ignorance des lois de la nature devait faire considérer comme une masse inerte, confuse, réduite à l’état de chaos ? Aristote avait trouvé une explication supérieure, plus simple et plus intelligible, de l’action de la cause finale, parce qu’il connaissait et comprenait mieux la nature. Il ne faisait plus mouvoir le monde par une sorte d’impulsion mécanique, mais par une attraction naturelle et nécessaire vers le bien, la vraie et seule cause première des choses, puisqu’elle en est la fin. Seulement sa conception devait rester, sinon stérile, du moins incomplète, tant que la philosophie ignorait les propriétés élémentaires de la matière et les lois qui les régissent. Descartes ne demandait que l’étendue et le mouvement pour expliquer le monde des corps. Et, bien qu’il n’eût guère besoin que d’une simple chiquenaude du grand moteur, selon le mot de Pascal, pour mettre en branle toute la machine de l’univers, encore lui fallait-il emprunter le mouvement à une cause étrangère au monde, dont la matière se réduisait pour lui à l’étendue géométrique. C’est Leibniz qui, devançant les révélations de l’expérience, comprit le premier la vraie nature de