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supprimé la « servitude des personnes, » mais elle a laissé subsister la « servitude de la terre. » Peu importe que le seigneur ne porte plus le titre de marquis ou de comte, et qu’il s’appelle rentier, capitaliste, propriétaire, bourgeois ; sous tous ces noms divers, il reste investi du monopole des richesses, c’est-à-dire de la faculté de disposer à son gré, et même dans l’oisiveté, des « instrumens de travail. » Si donc on veut s’élever au-dessus du prolétariat, ce n’est plus la personne, ce sont les choses qu’il faut affranchir. Il faut s’attaquer hardiment à la réforme de la propriété.

Les saint-simoniens montraient beaucoup d’habileté dans leur critique de la propriété. Ils prétendaient ne pas vouloir l’abolir, mais seulement la modifier, comme elle l’a été bien souvent dans l’histoire. Ils faisaient remarquer que la propriété n’est pas un fait absolu : elle a passé par des phases bien différentes. D’abord c’est l’homme lui-même qui a été une propriété : la terre a subi aussi bien des conditions diverses d’appropriations. La propriété féodale n’est pas celle du code civil. Le droit de transmettre a eu également ses phases : liberté absolue, droit d’aînesse, partage égal, droit de masculinité, etc., que de formes diverses d’un même droit ! Pourquoi n’y aurait-il pas une phase nouvelle ? Ils discutaient ensuite les diverses théories des économistes et des publicistes. On connaît par exemple la théorie de Ricardo et de Malthus sur la rente, à savoir « que la différence de qualité des terres exploitées permet d’employer une partie des produits sociaux à autre chose qu’à l’entretien des cultivateurs. » Soit ; mais pourquoi cette partie disponible des produits serait-elle employée à nourrir sans rien faire de nobles propriétaires ? Encore si elle servait comme au moyen âge à payer les guerriers ; mais pourquoi payer cet avantage à ceux qui ne font rien, aux « oisifs ? » Le code civil définit la propriété, « le droit de jouir et de disposer des choses de. la manière la plus absolue, pourvu que l’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois. » Définition vague et négative qui ne nous apprend en aucune façon dans quel dessein les lois restrictives de ce droit absolu seront instituées. Cazalis, à la constituante, disait toute la vérité lorsqu’il s’écriait : « Il n’est pas un paysan qui ne vous apprenne ce que vous ignorez : c’est que celui qui n’a pas cultivé n’a pas droit de recueillir les fruits. » Le propriétaire oisif qui succède à son père par droit de naissance a-t-il cultivé ? D’où lui vient donc le droit de recueillir les fruits ?

On voit comment les saint-simoniens furent conduits à leur doctrine sur l’héritage. Cette doctrine était implicitement contenue dans leur principe : « à chacun selon sa capacité ; à chaque capacité suivant ses œuvres. » Le principe du mérite personnel pris à la