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loi de l’avenir. L’antagonisme se manifeste par la guerre : guerre entre cités et nations, et dans les nations guerre entre familles, clans, tribus, et dans chaque famille entre les sexes et les âges, — guerre entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, entre les clergés nationaux et les clergés centraux. Néanmoins le principe d’association prévaut toujours de plus en plus sur le principe d’antagonisme. Il s’étend de groupe en groupe, embrassant toujours un plus grand nombre : c’est ainsi que du cercle le plus restreint, c’est-à-dire la famille, il s’élève à la cité, de la cité à la nation, de la nation à la fédération : l’humanité en est restée jusqu’ici à ce dernier progrès.

Quel est maintenant « le but social ? » Saint-Simon avait assigné pour objet à l’activité humaine « l’exploitation du globe. » Son école se propose le même but ; mais elle l’exprime avec plus de précision, et sur un ton déjà plus menaçant et plus irrité. Jusqu’ici, disent-ils, la loi de l’humanité a été, « l’exploitation de l’homme par l’homme, » formule redoutable qui n’avait encore chez les saint-simoniens qu’un sens théorique et abstrait, et qui devait devenir pour le socialisme révolutionnaire un drapeau de haine et de vengeance. Tel fut le but du passé : quant à l’avenir, ce doit être l’exploitation de la nature « par l’homme associé à l’homme. » En d’autres termes, « la guerre et la paix, » tels sont les deux pôles opposés de l’activité humaine, des périodes critiques et des périodes organiques, du passé et de l’avenir.

L’exploitation de l’homme par l’homme a eu trois phases ou trois degrés : l’esclavage, le servage, le prolétariat. Les saint-simoniens, qui affectent d’apporter dans l’appréciation du passé un grand esprit d’impartialité et d’équité, ne méconnaissent pas le progrès de l’un de ces états à l’autre : ils ne soutiennent pas, comme les socialistes sans scrupules, que l’ouvrier est plus misérable que l’esclave, car le prolétaire, disent-ils, a « la propriété de sa personne, » néanmoins son état n’est qu’un servage mitigé. En effet, quoique le contrat passé entre le maître et l’ouvrier soit une transaction entre l’un et l’autre, cependant cette transaction n’est pas libre de la part de l’ouvrier, car il est obligé de l’accepter sous peine de la vie. Sans doute, s’il se faisait entre les différentes classes de la société un continuel échange, qui mît les uns en haut, les autres en bas, suivant les mérites de chacun, l’inégalité n’aurait rien de contraire à la nature et à la justice ; mais l’incapacité de naissance » supprimée par la loi, subsiste toujours en fait. « Les avantages et les désavantages sociaux se transmettent héréditairement ; la misère est héréditaire. » Les travailleurs sont exploités par les chefs d’industrie, qui eux-mêmes, quoiqu’à un moindre degré, le sont aussi par les propriétaires de fonds. La révolution a