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théorie de la famille, la doctrine de l’affranchissement de la femme. Rien de plus connu et même de plus populaire que ces trois doctrines ; mais par quelles raisons les saint-simoniens y ont-ils été conduits ? dans quel sens les entendaient-ils ? et comment prétendaient-ils les appliquer ? C’est ce qu’on ne sait généralement pas avec précision ; c’est cette exposition précise que nous voudrions dégager des textes que nous avons sous les yeux.


I. — LA PROPRIETE.

Comme Saint-Simon, leur maître, les saint-simoniens aimaient à rattacher leurs vues sur l’organisation sociale à la philosophie de l’histoire. À cette époque, on était très préoccupé de la destination de l’humanité, et l’on croyait en surprendre le secret dans son histoire. Ce sont donc les lois du passé qui doivent nous révéler les lois de l’avenir. En philosophie de l’histoire, les saint-simoniens partaient des idées du maître, seulement en les généralisant. Saint-Simon avait dit que nous sortions d’une période critique, et qu’il s’agissait d’entrer dans une période d’organisation. Les saint-simoniens tirèrent de là une loi générale, et dirent qu’il y a deux sortes d’époques en histoire : les unes critiques, les autres organiques, et que l’humanité passe alternativement des unes aux autres. Sans doute, dans les périodes du passé dites organiques, l’ordre social n’était encore qu’un ordre « incomplet, » puisqu’il n’était pas universel, « provisoire, » puisqu’il n’était pas « pacifique. » Néanmoins ce qui caractérise ces époques, c’est que le but social y est nettement indiqué et partout compris, que tous les hommes y sont dirigés à la fois par l’éducation et la législation. Dans ces époques, il y a « légitimité, souveraineté, autorité ; » leur caractère est essentiellement religieux. Dans les époques critiques au contraire, après un court moment de généreuse activité employée à détruire les abus, l’anarchie se manifeste, « l’égoïsme succède au dévoûment, l’athéisme à la dévotion. » Dans les premières domine la religion, dans les secondes la philosophie.

À ces deux états sociaux correspondent deux principes d’action différens signalés déjà par Saint-Simon. Il avait remarqué que le caractère de la critique est de mettre la division parmi les hommes et de la discorde dans les esprits, que dans une société organisée au contraire tout est lié par une loi commune. Les saint-simoniens, généralisant ces vues, dirent qu’il y a deux principes sociaux, « l’antagonisme et l’association, » et que la loi de l’humanité est de passer de l’un à l’autre. L’antagonisme domine dans les périodes critiques, l’association dans les périodes organiques. Le premier a été surtout la loi du passé, la seconde est destinée à devenir la