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de Vasiligorod à l’embouchure du Volga, qu’il soit permis au tsar de rêver de ce côté de nouvelles conquêtes.

Tant que le convoi dont la barque de Jenkinson fait partie ne sera pas entré dans les eaux d’Astrakan, les strelitz feront bien de tenir leurs armes sous la main et les mèches de leurs mousquets allumées. Le 16 juin cependant, toute la flotte a dépassé sans encombre la grande pêcherie d’esturgeons de Potovsi, pêcherie située à 20 lieues en aval du confluent de la Kama ; il a dépassé également, le 22, le confluent de la Samara, reconnu de loin, le 28, la colline sur laquelle s’élevait naguère le château-fort construit par les Tartares entre Astrakan et Kazan ; le 1er juillet, il rase l’étroite bande de terre qui sépare le Volga du Don. C’est en franchissant cet isthme que les Tartares faisaient autrefois passer leurs bateaux du fleuve qui se jette dans la Mer-Noire au fleuve qui se jette dans la mer Caspienne. Après avoir pillé les marchands pour lesquels le Don était la seule route conduisant vers Azof, vers Kaffa, vers Soudagh, vers toutes les autres villes situées sur le Pont-Euxin, ils venaient rançonner les convois que le Volga amenait au port d’Astrakan, L’isthme de Perovolog, — tel est le nom que lui donne Jenkinson, — mesure 2 lieues à peine. Habituel repaire des bandits, on ne le dépassait pas autrefois sans terreur. La police du fleuve est mieux faite depuis que ce sont les capitaines d’Ivan qui s’en chargent. Il est bon toutefois de rester sur ses gardes ; les habitudes de brigandage sont toujours lentes à détruire, et les chants qui ont bercé le premier sommeil du Cosaque l’inviteront bien longtemps encore à renouveler les prouesses du passé[1].

A partir de Perovolog, le Volga roule ses flots entre deux déserts, désert des Criméens à droite, désert des Nogaïs à gauche. Là pour la première fois Jenkinson a le spectacle d’un campement de Tartares établis sur leur terrain de pâture. Le capitaine du Primerose compte près d’un millier de chameaux réunis. Toute une ville ambulante est en voie de se déplacer. Les chameaux la traînent à travers la prairie de leur pas solennel et sûr. La horde n’est pas d’ailleurs une horde ennemie ; c’est la horde du moursa Ismaïl, le plus grand prince de tout le Nogaï. Ismaïl a tué ou chassé ses rivaux, n’épargnant même pas ses frères et ses enfans. Il vit en paix avec la Russie, se procure par la Russie tout ce que ses sujets demandaient autrefois aux marchands persans, et gouverne seul les

  1. Nous avons entendu en 1858, trois siècles après le voyage de Jenkinson, les matelots de la frégate le Polkan, que commandait à cette époque le capitaine Youchkof, et un peu plus tard le capitaine Stetonko, répéter en chœur ces chants des pirates du Volga. Accroupis en rond sur le pont, les marins russes accompagnaient la lente et monotone cadence d’une. pantomime destinée à représenter le balancement de la barque sur les eaux du grand fleuve.