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nous faudra, si nous voulons continuer d’emprunter le langage de Jenkinson, comprendre toutes les hordes qui errent, conduites « par leurs ducs, » des rives du Volga aux bords extrêmes du Don, de la mer Caspienne au Caucase, de la Mer-Noire à la mer d’Azof.

Il en a souvent coûté cher aux sujets du vainqueur de Kazan de s’être hasardés à construire leur isba près de la frontière le long de laquelle rôdent ces pillards. Les habitans des marches moscovites ne se permettent guère d’élever d’autres troupeaux que des troupeaux de porcs ; ils savent que, convertis dès l’année 1272 à la religion du prophète, les Tartares n’auront garde de s’attaquer à l’animal immonde. Mais est-ce donc de bestiaux que les Criméens ont besoin ? Le butin que recherchent les Tartares dans toutes leurs guerres ne se compose pas de vaches et de moutons. Il faut à ces brigands des captifs ; ce sont des captifs, particulièrement des jeunes filles et des jeunes garçons, qu’ils vont vendre aux Persans ou aux Turcs. Que leur donneront les Persans et les Turcs en échange ? Les Tartares ignorent ou méprisent l’usage de l’argent ; de tous les métaux, l’argent serait sans contredit pour eux le moins utile. Les marchands étrangers leur apporteront de l’acier et du cuivre ; les Tartares criméens ont appris à en faire des couteaux et des sabres. Quand ces sauvages bandits envahissent le territoire russe, ils ont soin de se munir de vastes paniers dont la forme rappelle jusqu’à un certain point les corbeilles des boulangers. Dans ces paniers suspendus aux flancs de leurs chevaux, les Tartares, presque toujours poursuivis et serrés de près, emportent au galop leurs prisonniers. Si quelque captif tombe malade en route, le cavalier se garde bien de s’embarrasser plus longtemps du fardeau qui le gêne. Le malheureux chrétien est jeté à terre ; une lente agonie finira ses maux. Quelquefois, plus clément, le ravisseur, avant de l’abandonner, lui a frappé la tête contre un arbre ; il abrège ainsi son supplice.

Les Criméens et les Nogaïs appartiennent à la même race : ce sont deux grands débris de la vaste irruption du XIIIe siècle. Ils ont également le visage large et plat, le teint brun, — entre le jaune et le noir, — le regard farouche et cruel, quelques poils à la lèvre supérieure et au trou du menton. La nature ne les a pas faits beaux, elle les a faits lestes et agiles, avec de petites jambes cependant. Comment les jambes des Tartares se développeraient-elles ? Ces nouveaux centaures, cavaliers de naissance, n’en font presque jamais usage ; c’est une rareté de voir un Tartare à pied. Le principal exercice des Criméens et des Nogaïs consiste à tirer de l’arc. Dès le plus bas âge, l’enfant s’habitue à lancer la flèche au but ; il n’aura son repas que quand il sera parvenu à frapper la cible. C’est ainsi qu’en Angleterre et en France on dresse le faucon.

La terre des herbes a de tout temps nourri des nomades ; hier