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siècle pour que le travail des nègres et des Indiens vînt reléguer dans l’ombre le facile travail des abeilles.

A Nijni-Novgorod, Jenkinson a posé pour les cosmographes futurs un nouveau jalon. Il place cette grande ville par 56° 18’ de latitude. Les observations modernes ne l’ont placée qu’une minute et 40 secondes plus au nord. Les marins du XVIe siècle, Stephen Burrough lui-même, ne nous ont pas habitués à tant de précision.

Les Anglais avaient désormais un grand fleuve à leurs ordres, mais un fleuve sur lequel il eût été imprudent de s’embarquer sans escorte. Jenkinson attendit jusqu’au 19 mai l’arrivée du capitaine que l’empereur envoyait gouverner Astrakan. Ce capitaine conduit le convoi qui, depuis la conquête du cours inférieur du fleuve, descend chaque année, à la même époque, le Volga, — flotte de 500 barques chargée de vivres, de soldats et de munitions. Russes et Anglais partirent ensemble de Nijni-Novgorod. A peine eurent-ils fait 25 lieues sur le Volga qu’ils se trouvèrent à l’extrême limite des territoires qu’avait possédés Vasili IV. Au-delà du château de Vasiligorod commençait en l’année 1533 le domaine des Tartares. Le fils de Basile, Ivan Vasilévitch, recula les limites de l’empire jusqu’à la mer Caspienne ; il conquit le cours du Volga et tout le pays adjacent. Deux châteaux, Tcheboksar et Sviajsk, lui suffirent pour garder la longue ligne fluviale qui va de Vasiligorod à Kazan. Le convoi dont fait partie la barque de Jenkinson défile devant ces deux châteaux le 25 et le 27 mai ; le 29, il se décide à faire escale à Kazan. La capitale si longtemps redoutée de la Horde-d’Or était, nous apprend Jenkinson, « une belle ville dans le genre russe ou tartare. » Un château-fort bâti sur une colline élevée la dominait. Tant que cette ville fut aux mains de la horde mongole, il n’y eut pas un instant de repos pour la Russie. Les discordes des Tartares favorisèrent heureusement les projets d’Ivan IV ; l’anarchie intérieure livra au conquérant étranger les plus fiers descendans de ce peuple qui avait failli conquérir le monde. Depuis six ans déjà Kazan est au pouvoir du tsar. Le roi dont Ivan Vasilévitch en cette occasion s’empara était jeune ; Ivan le fit baptiser et l’emmena triomphalement à sa cour. Le souverain captif y trouva les deux princes qui avaient régné avant lui dans Kazan. La turbulence de leurs sujets, nous affirme le digne successeur de sir Hugh Willoughby et de Chancelor, les avait successivement contraints de se réfugier à Moscou. Les boïars d’Ivan IV eurent ainsi le spectacle de « trois princes déchus » assis en même temps à la table de leur maître ; spectacle bien fait pour inspirer aux ducs et aux voïvodes, pour inspirer au peuple russe surtout, vainqueur du peuple qui l’avait si longtemps opprimé, l’horreur de la sédition. Kazan était en effet pour la Russie l’acquisition vitale, la possession sans laquelle il n’y aurait