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obligé d’enfler encore sa voix ; les Anglais l’ont trouvée plus haute, plus variée dans ses modulations qu’en aucun des pays qu’ils avaient jusque-là visités. Ce doux passage de l’hiver à l’été malheureusement dure peu, et l’été comme l’hiver est, en Russie, extrême. Les chaleurs des mois de juin, de juillet et d’août ne sont pas, comme en Angleterre, tempérées par la fraîcheur des nuits. Une atmosphère de plomb que n’agite aucune brise pèse sur le sol constamment échauffé. Il faut ce grand soleil pour amener à maturité complète le blé qu’on n’a pu semer qu’au mois de mai. Combien de fois, pour ne pas s’exposer à voir l’épi détruit par une gelée précoce, n’a-t-on pas dû le couper encore vert et le répandre dans le champ pour le faire sécher ! Moscou compte sept mois d’hiver et trois mois de chaleurs souvent infernales ; le Russe n’a que deux mois pour respirer.

Sous ce rude climat, sur ce sol sauvage vit une race « trapue, à la tête plate et à la face pleine, au teint brun, au gros ventre qui lui pend hors de la ceinture. » Libre aux Anglais de la comparer à a un peuple de Silènes gouverné par Tarquin ; » au fond, c’est une race asiatique arrachée à la barbarie par le christianisme et conduite, — troupeau résigné, troupeau doux et docile, — comme le troupeau plus rétif qui s’appela jadis le peuple anglo-saxon, par des bergers normands.

« L’empereur Ivan IV, écrivait en 1557 Jenkinson, est un puissant monarque. Il a fait de grandes conquêtes sur les Lithuaniens, sur les Livoniens, les Polonais, les Suédois, les Tartares et les païens qu’on appelle Samoïèdes ; toutes les affaires, si petites qu’elles soient, doivent passer sous ses yeux ; mais les affaires religieuses, il les abandonne sans réserve au métropolitain. Le métropolitain seul en décide à son gré. » L’empereur et l’évêque, voilà les deux piliers sur lesquels repose l’immense édifice de la nationalité moscovite. Vous trouverez l’obéissance aveugle à l’origine de tous les grands peuples ; cette obéissance ne s’accorde qu’aux pouvoirs que le doigt de Dieu consacre. Les princes de Moscou, — l’observation ne prétend pas porter au-delà du XVIe siècle, — ont résolu le difficile problème d’emprunter leur prestige à la sanction divine, et de garder intacte l’autorité royale dans les choses de ce monde, dans les choses qui ne relèvent pas, directement et d’une façon visible, du royaume des cieux. Fils soumis de l’église, ils n’ont pas laissé oublier à l’église que ses serviteurs devaient être, à leur tour, les plus soumis des sujets. La lutte des deux puissances en Russie ne s’est donc pas produite ; ni l’une ni l’autre n’a subi les ébranlemens qui ont failli les déraciner l’une et l’autre dans le reste de l’Europe.

Ne pensez pas cependant que la monarchie d’Ivan IV rêve une