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va se montrer aux raisonneurs anglais dans tout l’élan de sa foi orthodoxe.

Le 4 janvier 1558 est pour les sujets d’Ivan IV le jour des Rois ; l’empereur, accompagné de son frère et de tous ses nobles, se rend en procession à l’église. Vers neuf heures du matin, il en sort et se dirige vers les bords de la Moscova ; le métropolitain se prépare à bénir la rivière. En avant marchent les lévites tenant à la main de longs cierges dont la cire a été récoltée sur les bords de l’Oka. Une énorme lanterne garde et protège l’image vénérée que les Russes appellent Neroutchnoï. Dans la ferme croyance des moujiks, cette image du Christ n’a pas été faite de main d’homme. Les cierges ont passé ; ce sont à présent les bannières qui s’avancent, puis vient la grande croix d’or, dominant et faisant incliner la foule, puis les images de la Vierge, de saint Nicolas et d’autres bienheureux. Voici enfin le cortège des prêtres : ils sont au nombre d’une centaine environ. Derrière eux, Jenkinson a reconnu le métropolitain. Qui donc suit le prélat ? qui donne à tous l’exemple de la foi recueillie, de la piété austère ? C’est le plus grand et le plus humble des fidèles ; c’est l’empereur Ivan IV, sa couronne sur la tête et sa noblesse « en bon ordre » sur ses pas.

Dans la glace de la Moscova, on a pratiqué un grand trou carré de trois brasses de côté environ. La procession se range sur le bord de cette ouverture. Le métropolitain monte sur une estrade et s’y assied ; l’empereur reste sur la glace, il y reste tête nue. N’est-ce pas aujourd’hui le jour des Rois ? Oui ! mais le jour des Rois, c’est à Moscou le jour où les rois s’humilient. Les prêtres commencent « à chanter, à bénir et à encenser. » Le métropolitain prend dans ses mains un peu d’eau et en jette quelques gouttes sur l’empereur ; il asperge également quelques ducs. La procession rentre ensuite à la cathédrale. A peine l’empereur s’est-il retiré que plus de 5,000 personnes se précipitent, leur cruche à la main, pour la remplir. Le Moscovite qui devrait regagner son isba sans avoir pu s’approcher de cette eau consacrée se plaindrait amèrement de son sort ; ses voisins le considéreraient comme très malheureux. Une foule de gens profitent de l’occasion pour se plonger tout nus dans le fleuve ; d’autres y plongent à diverses reprises des enfans ou des malades. La Moscova est devenue un nouveau Jourdain ; on y baptise des Tartares et on y fait boire les chevaux de l’empereur. La foule s’écoule lentement ; Jenkinson va dîner, en compagnie de 300 étrangers, dans la maison de bois « artistement dorée, » où nous a déjà conduits Chancelor.

L’époque des grandes austérités cependant approche. Les Russes commencent leur carême huit semaines avant Pâques. La première semaine, ils mangent des œufs, du lait, du fromage et du beurre.