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suivre, assure-t-on, cet énorme globe dans sa course. Remarquez également cette grande quantité de mortiers et de canonnières destinées à lancer le feu grégeois : est-ce le roi Sigismond, Christian III ou Gustave Vasa qui pourraient mettre en batterie une pareille quantité de canons ? Ces canons, on les a rangés devant deux maisons de bois remplies de terre ; sur les façades noires on a dessiné deux belles cibles blanches. L’empereur et ses principaux nobles vont bientôt apparaître. Tous montent des chevaux turcs ou des genêts d’Espagne ; les selles sont recouvertes de drap d’or et de drap d’argent. L’empereur porte également une robe de drap d’or ; son bonnet d’écarlate est orné de perles et de pierres fines. Cinq mille arquebusiers le précèdent ; l’arquebuse sur l’épaule gauche, la mèche dans la main droite, ils forment une longue colonne où cinq hommes marchent de front. Les nobles viennent ensuite, s’avançant trois par trois. Une plate-forme d’un quart de mille de long a été dressée sur des poteaux. Les arquebusiers s’y déploient et s’alignent. En face, à 60 yards à peu près de distance, des blocs de glace de 6 pieds de hauteur, de 2 pieds d’épaisseur, figurent les bataillons ennemis. L’empereur donne le signal ; le feu de la mousqueterie commence ; il ne cesse que quand la glace a été complètement rasée. Après les arquebuses, l’ordre de la revue appelle le feu grégeois. Un ruisseau de flammes jaillit des canonnières : magnifique spectacle, bien fait pour porter la terreur dans les escadrons ! Laissez maintenant la parole à l’artillerie ; les petites pièces de bronze ont ouvert le feu les premières, puis viennent successivement les moyennes et les grosses. Chaque pièce tire trois coups ; à la fin du tir, les deux maisons de terre, maigre leurs trente pieds d’épaisseur, ont eu le sort de la glace : elles gisent étalées dans la plaine. Comprenez, ô monarques des mers orientales ! Comprenez, porte-glaives de la Livonie ! Et vous, que la sainte Russie craignit si longtemps, tremblez à votre tour, malheureux Tartares !

Jamais Ivan IV ne fût parvenu à vaincre les Polonais et les Livoniens, s’il n’avait emprunté à ces ennemis mêmes les armes et la discipline dont une civilisation supérieure leur assura pendant plus d’un siècle l’avantage. A part un corps d’élite, le corps des strelitz, l’armée russe n’était à proprement parler qu’une immense milice. Ces miliciens portaient le nom de syny-boïarsky, ou fils de gentilshommes. La profession militaire suffisait, à elle seule, pour leur donner ce rang. Le métier des armes se transmettait ainsi avec la noblesse de père en fils. Tout soldat avait droit à une certaine portion de terrain ; détaché du lot paternel, ce terrain eût pu, à la rigueur, être considéré comme un fief, on ne pouvait cependant l’occuper avant d’avoir été inscrit au nombre des tenanciers dont le grand-connétable dressait chaque année la liste. Le