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COUSIN ET COUSINE.

sous le mien et se laissa guider par moi. Les remarques qu’il m’adressa chemin faisant annonçaient un esprit impressionnable et cultivé. Je retrouvai en lui ce bizarre mélange de raffinement naturel et de naïveté que l’on rencontre assez fréquemment aux États-Unis. Après avoir visité en touristes scrupuleux le reste du palais, je proposai à mon compagnon d’explorer les environs et de ne repartir que par un train du soir. Dans le village voisin, on nous servit un excellent repas. M. Serle s’était mis à table de l’air d’un homme peu disposé à faire honneur au repas. Cependant mon bon exemple lui profita et au bout d’une demi-heure il déclara que depuis un mois il ne s’était pas senti un meilleur appétit.

Le village de Hampton-Court s’étend sur la lisière d’un beau parc. Le dîner terminé, j’allumai un cigare et nous nous dirigeâmes vers la grande avenue de châtaigniers.

— Ah ! voilà bien l’Angleterre, m’écriai-je, avec sa verdure moderne et ses souvenirs féodaux. J’aurais regretté de mourir sans connaître le pays qui fut notre berceau.

— Moi, tout en aimant notre nouveau monde, j’ai toujours eu un faible pour ce vieux monde dont nous foulons le sol, répondit Serle. Je suis né conservateur. J’aurais dû venir ici plus tôt, avant…

Il se tut et baissa tristement la tête.

— Avant d’avoir perdu votre santé, ajoutai-je.

— Ma santé, ma fortune, mon ambition et ma propre estime, reprit-il.

— Bah ! dis-je, vous retrouverez tout cela ; le changement de climat fait des merveilles.

— Il faudrait un miracle, répliqua-t-il d’un ton rêveur en contemplant le palais éloigné. Je voudrais être un des vieux gentilshommes logés aux frais de l’état dans ce château et passer mes jours à me promener à travers ces salles désertes où sourient ces favorites sans adorateurs. Je sais que vous les méprisez ; moi, je les admire et les plains. Pauvres femmes, si courtisées de leur vivant, si négligées aujourd’hui, montrant leurs blanches épaules et offrant leur sourire mutin à l’inexorable solitude !

— Allons, dis-je en le frappant sur l’épaule, je maintiens ma prophétie, car les poètes ont la vie dure.

Au même instant, comme pour compléter le joli paysage anglais, nous vîmes s’avancer sous les ombrages de l’avenue une de ces jeunes et gracieuses amazones d’outre-Manche, qui semblent aussi à l’aise sur un cheval que dans un salon. Son groom était resté assez loin en arrière, et, arrivée près de l’endroit où nous nous tenions, elle se retourna sur sa selle. Dans ce mouvement elle laissa tomber sa cravache que mon compagnon s’empressa de ramasser et de présenter, chapeau bas, à la jeune fille. Celle-ci le remercia par un